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l’Espagne. Le 22 avril, le Roi partit pour l’armée, ayant refusé d’emmener Lauzun, qui s’imagina, à tort ou à raison, que Mademoiselle l’avait desservi, et en fut outré. Il se rendit au Luxembourg, où un accueil railleur acheva de l’exaspérer : « — J’allai à lui avec un air riant et lui dis : « — Il faut que vous vous en alliez à Lauzun ou à Saint-Fargeau ; car, n’allant point avec le Roi, cela serait ridicule que vous demeurassiez à Paris, et je serais fort fâchée que l’on crût que c’est moi qui suis cause que vous y demeurez. » Il me dit : « — Je m’en vais, et je vous dis adieu pour ne vous voir de ma vie. » Je lui répondis : « — Elle aurait été bien heureuse, si je ne vous avais jamais vu ; mais il vaut mieux tard que jamais. — Vous avez ruiné ma fortune, me répliqua-t-il ; vous m’avez coupé la gorge ; vous êtes cause que je ne vais point avec le Roi ; vous l’en avez prié. — Oh ! pour celui-là, cela est faux ; il peut dire lui-même ce qui en est. » Il s’emporta beaucoup, et moi je demeurai dans un grand sang-froid. Je lui dis : « — Adieu donc, » et j’entrai dans ma petite chambre. J’y fus quelque temps ; je rentrai ; je le trouvai encore. Les dames qui étaient là me dirent : « — Ne voulez-vous donc pas jouer ? » J’allai à lui, lui disant : « — C’est trop ; tenez votre résolution ; allez vous-en. » Il se retira. » Cette rupture fit grand bruit. Dangeau, qui avait suivi le Roi à la frontière, nota le 6 mai dans son Journal : « — On apprit de Paris que Mademoiselle avait défendu à M. de Lauzun de se présenter devant elle. » Ainsi finit, mesquinement et misérablement, la plus fameuse passion du siècle après celle de Chimène et de Rodrigue.


V

Le bruit apaisé, les héros du roman s’enfoncèrent dans l’obscurité. Mademoiselle se jeta dans une dévotion d’où le pardon des injures restait exclu. Lauzun cherchait une branche où se raccrocher et n’en trouvait point ; il comprenait trop tard que l’on ne se brouillait pas impunément avec une princesse du sang. Il fit des tentatives de rapprochement que Mademoiselle repoussa : elle l’avait trop aimé pour ne pas le haïr. Leur vie à tous les deux paraissait finie, quand la même étoile fantasque qui avait guidé Lauzun vers tant d’aventures merveilleuses, sinon toujours agréables, le conduisit en Angleterre dans l’automne de 1688. Il y cherchait une cour plus hospitalière que la nôtre ; il y trouva