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pour être exportés en Amérique, des imitations, des déformations truquées de ces objets d’art, trop maniérés à mon goût, mais singuliers et gracieux, que les Japonais jadis composaient avec tant de patience et de rêverie.

Des soldats, partout des soldats, des régimens en manœuvre, en parade ; tout à la guerre.

Pour comble, au tournant d’une rue, me voici dépisté, interviewé, tout vif et en anglais, par un journaliste à figure jaune, qui porte jaquette et haut de forme… Alors, non, je rentre à bord, ne voulant plus rien savoir de ce Japon-là !…


Octobre. — Et j’ai tenu rigueur à cette ville et à ses entours jusqu’au départ.

Quelques-uns de mes camarades sont allés visiter le grand arsenal voisin ; ils y ont trouvé un empressement, des nuages de fumée noire comme au bord de la Tamise, et sont revenus stupéfaits de la quantité de navires et de machines de guerre que l’on y prépare fiévreusement nuit et jour.

D’autres sont allés à Tokio pour accompagner notre amiral à une réception de Leurs Majestés nipponnes. Dans les rues, ils ont croisé des bandes d’étudians, qui manifestaient contre l’étranger, et l’un d’eux, renversé de son pousse-pousse par malveillance, s’est fracturé le bras. Ils ont vu l’Impératrice, sous la forme aujourd’hui d’une toute petite bonne femme, habillée à Paris, par quelque bon faiseur, élégante encore malgré ce déguisement, demeurée jolie, même presque jeune sous son masque de plâtre, et conservant toujours cet air qu’elle avait jadis, cet air de déesse offensée de ce qu’on ose la regarder.

Mais combien je préfère ne l’avoir point revue, et en rester sur l’exquise image première : cette Impératrice Printemps, au milieu de ses jardins, environnée de chrysanthèmes fous, et dans des atours jamais vus, ne ressemblant à aucune créature terrestre.

Donc, je n’ai plus remis pied à terre, dans ce néo-Japon, tant qu’a duré notre escale. Maintenant nous redescendons vers le Sud, tout doucement, par la Mer Intérieure, et ce soir, à la nuit tombante, nous venons de mouiller pour deux jours devant Miyasima, l’île sacrée, que régissent des lois spéciales et étranges. Elle nous apparaît en ce moment, cette île, comme un lieu de mystère qui ne veut