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qui repose sur un petit chevalet en bois d’ébène, me paraît plutôt engraissée, mais avec je ne sais quoi de calmé, de moins provocateur dans le regard. Et je m’étonne surtout du peu d’émotion que paraît causer ma présence.

Deux dames agenouillées s’occupent à lui faire avaler une prière, écrite sur papier de riz, qu’elles pétrissent en boule, comme une pilule. Et debout se tient une personne que je n’avais pas vue depuis quinze ans, mais qui certes me reconnaît, et qu’un grain de beauté sur la narine gauche me permet aussi d’identifier au premier coup d’œil : Mlle Dédé, l’ancienne servante du ménage Sucre et Prune, devenue aujourd’hui une imposante matrone, un peu marquée, mais agréable encore.

Avec un sourire spécial, gros de confidences intimes, Mlle Dédé, qui a vu mon émoi, me donne d’abord à entendre que ce n’est rien de grave.

Dans le jardin où elle me reconduit ensuite, — car je ne prolonge pas davantage une entrevue qui semble à peine plaire, — elle m’explique comment Mme Prune, après une jeunesse interminable, vient de traverser enfin, et victorieusement du reste, certaine crise, certain tournant de la vie par où les autres femmes passent toutes, mais en général nombre d’années plus tôt.


Mardi, 12 octobre. — « Ne va pas manquer cela, au moins ! » — m’avait dit hier Mlle Pluie-d’Avril, en me parlant de la fête d’aujourd’hui.

Et le beau soleil de une heure me trouve à flâner, dans les rues par où les petites fées doivent passer.

Un premier dais, là-bas, s’avance lentement, suivi d’un cortège de curieux. Il est rond et semble une immense ombrelle plate. Au-dessus, tremble une folle végétation de lotus roses, plus grands que nature. Il est très nettement cerclé par un large bourrelet de velours funéraire, où se reconnaît le goût de ce peuple pour la couleur noire et aussi pour la précision des contours. Un seul homme porte péniblement l’édifice, par une hampe centrale, comme serait le manche d’un parasol. Et des draperies de brocart d’or, qui retombent en rideaux à demi fermés, laissent entrevoir là-dessous cinq ou six dames nobles d’autrefois, ayant bien douze ans chacune : des figures qui paraissent encore plus enfantines, encadrées par de si solennelles