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10 août, n’avait jamais été un révolutionnaire très farouche. C’était un de ces bourgeois éclairés de la fin du XVIIIe siècle, qui conciliaient la foi aux idées nouvelles avec l’attachement aux idées monarchiques ; ami des lumières et détaché de toutes croyances religieuses, il était sans fanatisme à rebours, libéral, modéré, vraiment tolérant. Les amis qui, au début de la Restauration, le visitaient dans son appartement de l’Institut, appartenaient tous au parti royaliste constitutionnel : c’étaient Suard, Rayneval, Laine, Lally-Tollendal, surtout le baron Mounier et de Bonald. Attirés par la célébrité, le mouvement d’esprit, la bonhomie de M. Charles, ils avaient su goûter le charme nouveau qu’apportait aux réunions de l’Institut la présence de sa jeune femme. Julie eut un salon. Elle y présidait avec une grâce nonchalante. Elle aimait qu’on vînt lui apporter les nouvelles chaque soir, et prendre quelques instans de causerie, avant de paraître aux réceptions officielles. Elle assistait, avec une complaisance un peu lasse et une attention légèrement distraite, à ces entretiens d’hommes âgés qui discutaient de science, de philosophie, de politique, d’économie politique. Elle goûtait, comme il convenait, ces joies sérieuses et cette félicité calme ; elle n’imaginait pas que quelque chose pût manquer à son bonheur ; elle ne se doutait pas que sa jeunesse pût se révolter ; elle n’entendait pas l’appel de son cœur… Cependant, sous l’influence du mal qui la consumait, une espèce de fièvre grandissait en elle à son insu : c’était un besoin de se dépenser, de rendre service, d’obliger ; c’était une poussée de sensibilité qui s’épanchait en effusions d’amitié, trompant mal un désir insoupçonné d’émotions plus tendres et plus vives. Ainsi cette jeune femme, heureuse et inquiète, qui avait passé la trentaine, qui était touchée par la mort, et qui n’avait pas encore aimé, languissait dans une attente dont, sans la comprendre, elle subissait l’angoisse.

Elle était arrivée aux eaux d’Aix dans les premiers jours de juillet 1816 ; bientôt elle y rencontrait Alphonse de Lamartine.

Celui-ci, avec le charme un peu sauvage de ses vingt-six ans, était un jeune gentilhomme de province, grandi à la campagne, dans un milieu familial et chrétien, et à peine affranchi de la tutelle de ses parens. À la faveur de brèves échappées, il avait eu quelques aventures, tout à fait banales, dont l’une pourtant lui fournissait un thème à des variations poétiques dans la manière voluptueuse et triste alors à la mode. Il se souvenait d’avoir,