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si je reverrai encore mon enfant chéri, et l’ange que j’adore ! Ah ! je dois l’espérer. Le même ciel nous couvre aujourd’hui et depuis ce soir je vois bien qu’il nous protège. Mais les cruels qui nous ont séparés, quel mal ils nous ont fait, Alphonse ! Qu’avons-nous de commun avec eux pour qu’ils viennent se mettre entre nous et nous dire : vous ne vous regarderez plus ? Ce morceau de glace mis sur nos cœurs ne vous a-t-il pas déchiré, ô mon ange ? J’en sens encore le froid. J’ai cru que j’allais leur dire : Eh ! laissez-moi. Vous voyez bien que je ne suis pas à vous, que j’ai beaucoup souffert, et qu’il est teins pour que je vive qu’il me ranime sur son sein !

— Ils sont partis : mais vous pourriez être là et je suis seule ; comment, Alphonse, n’en pas verser des larmes ? Ah ! pourtant bénissons cette Providence divine ! Demain encore, n’est-ce pas, elle nous réunira et pour cette fois elle nous laissera ensemble ! C’est une épreuve qu’elle voulait encore que nous puissions subir ; mais elle ne veut pas que nous mourrions cette nuit, et alors ne mérite-t-elle pas nos adorations toutes entières ? Je le sens si fortement que mon premier besoin dès que l’on m’a quitté a été de me jetter à genoux et d’adorer avec larmes cette suprême bonté qui m’a rendu Alphonse ! C’est aux pieds de Dieu que j’ai recouvré la force de lui parler à lui-même ! — lime permet de vous aimer, Alphonse ! j’en suis sûre. S’il le défendait, augmenterait-il à chaque instant l’ardent amour qui me consume ? aurait-il permis que nous nous revissions ? voudrait-il verser à pleines mains sur nous les trésors de sa bonté et nous les enlever ensuite avec barbarie ? Oh ! non, le ciel est juste ! il nous a rapprochés, il ne nous arrachera pas subitement l’un à l’autre. Ne vous aimerai-je pas comme il le voudra, comme fils, comme ange et comme frère ? et vous, vous, cher enfant ! ne lui avez-vous pas depuis long-tems promis de ne voir en moi que votre mère ?

Ah ! que cette nuit s’écoule, elle me torture. Quoi, Alphonse, je ne me trompe pas, vous êtes bien ici ! Nous habitons le même lieu ! Je n’en serai sûre que demain. Il le faut, que je vous revoye, pour croire à mon bonheur ! Ce soir le trouble est trop affreux. — Chère vallée d’Aix ! ce n’était pas ainsi que vous nous rassembliez, vous n’étiez pas pour nous avare des joies du ciel ! elles duraient comme notre amour sans terme, sans bornes ! elles auraient duré toute la vie ! Ici les voilà déjà troublées. Mais quelle soirée aussi et que nous aurions tort, cher enfant, de n’en pas espérer de meilleures ! Vous verrez comme habituellement je suis seule. Vous verrez, demain, mon cher ange, si Dieu est assez bon pour nous faire vivre jusqu’au soir, que des heures et des heures se passeront sans que l’on nous sépare ! Vous verrez si, vous ici, je puis me plaindre de ma situation !

Demain j’ai le malheur de n’être pas libre avant midi 1/2. Je vais au Palais avec M. Charles remplir je ne sais quelle formalité, je sors à onze heures 1/2. Je calcule que cela me prendra une heure. Attendez-moi chez vous, mon ange ! J’y serai dès qu’on m’aura laissée et je vous ferai demander pour vous emmener afin que nous passions le reste de la matinée ensemble. Prions Dieu que jusque-là il nous donne de la vie et de la force.

Écrivez-moi par mon commissionnaire que vous m’aimez toujours, ces mots chéris n’ont pas frappé mon cœur dans le petit nombre de mots que