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j’ai pu recueillir de votre bouche ! Redites-les Alphonse ! Répétez beaucoup que vous aimez votre mère ! Elle est quelquefois si malheureuse de l’idée terrible que vous pourriez cesser ! — Mais non, non, vous le lui avez trop dit ! Ne prenez pas ceci pour des craintes, une mère ne doute pas de son fils, elle est toujours sa mère, elle peut tout entendre. C’est un de ses devoirs, elle les remplira tous. Ah ! mon enfant, que je vous aime ! que je vous aime ! Vous l’êtes-vous bien dit ? L’avez vous vu ? Au milieu de ce monde où il fallait parler, sentiez-vous mon cœur souffrir ? Le voyez-vous battre ? Alphonse ! Alphonse ! je succombe à mon émotion. Je vous adore ! mais je n’ai plus la force de le dire. Ah ! que des larmes abondantes me feraient du bien ! Qu’il est donc difficile à porter, le bonheur ! Pauvre nature humaine, tu es trop faible pour lui !

Dites à votre ami que je le porte aussi dans mon cœur comme un frère. Ah ! qu’il a été bon pour moi ! Comme il faut qu’il vous aime pour m’avoir supportée dans mes douleurs et soutenue ce soir, quand il est venu m’annoncer mon enfant ! Alphonse ! payez ma dette envers lui. Aimez-le davantage, cet ami si digne de vous ! et que ce ne soit pas parce que je manque de reconnaissance, il a toute la mienne, et il a aussi en épanchemens et en affection tout ce qui n’appartient pas exclusivement à mon Alphonse. Je vous laisse, enfant chéri ! pour quelques heures. Vous allez dormir et moi pendant la nuit entière je vais veiller sur vous et demander à Dieu que demain nous arrive ! Après nous pouvons mourir.

Dors donc, ami de mon cœur ! dors et qu’à ton réveil cette lettre que tu recevras avec tendresse te soit remise ! mon ange ! mon amour ! mon enfant ! ta mère te bénit ! et bénit ton retour !


Nous donnons ici, à la suite, les deux lettres que Lamartine reçut de Julie, quelques jours après celle-ci, le 1er et le 2 janvier de l’année 1817 :


1er janvier 1817, 10 heures du soir.

Que je vous retrouve, ô mon Alphonse ! Après une journée livrée à des indifférens, je brûlais d’être seule. J’ai pourtant fait fermer ma porte très tard, mais depuis 3 heures j’ai du monde et je n’ai vu avec plaisir que M. et Mme Mounier ! Ils sont venus tout de suite après leur dîner et c’était vraiment aimable : pourquoi n’en ai-je pas assez joui ? Ah ! c’est que vous êtes dans mon cœur, mon enfant, et que quand je ne puis ni causer librement avec vous, ni vous écrire je suis malheureuse. Il faut pourtant que je vous dise que Wilhelmine a été charmante et son mari très bon pour moi. Cette jolie jolie femme m’est arrivée parée pour la Cour et elle est restée avec moi jusqu’à l’heure où le Roi recevait, ne voulant pas, m’a-t-elle dit, passer cette journée sans me voir. Elle m’a apporté une jolie bague renfermant des cheveux de toute sa famille et portant son chiffre, celui de son mari et de ses enfans. Moi je lui ai tressé des bracelets semblables à la ceinture que je vous ai montré à Aix et j’y ai fait mettre aussi nos chiffres. M. Mounier m’a donné un ouvrage très rare de son père qu’il a pris soin de