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expliquer autrement cette expression. Pardonnez-donc, mon amour, tout ce qu’elle m’a fait dire, mais gardez le souvenir de mes justes craintes ! et voyez-moi moins aimable, mais aimez-moi quand même.


Le soir de ce même 2 janvier, Julie, — après avoir, dans l’intervalle, reçu une lettre de Lamartine, retenu hors de Paris, semble-t-il, par une courte absence, — lui écrivait :


Jeudi soir, 2 janvier 1817.

Arrivez, arrivez, Alphonse, venez consoler votre mère. Je ne puis plus supporter vos cruels reproches, et l’idée déchirante que vous avez pu croire à un changement dans mes sentimens fait un tel effet sur moi que je ne suis plus la maîtresse de ma raison. Pour vous prouver que je vous aime par-dessus tout, injuste enfant ! je serais capable de tout quitter dans le monde, d’aller me jetter à vos pieds et de vous dire : Disposez de moi, je suis votre esclave. Je me perds, mais je suis heureuse. Je vous ai tout sacrifié, réputation, honneur, état, que m’importe ? Je vous prouve que je vous adore. Vous n’en pouvez plus douter. C’est un assez beau sort que de mourir pour vous à tout ce que je chérissais avant vous ! Et que m’importe en effet, et que puis-je placer à côté d’Alphonse qui pût balancer un seul instant les sacrifices que je suis prête à lui faire ? S’il se rit des jugemens des hommes, je cesse de les respecter. Je trouverai bien toujours un abri pour ma tête et, quand il ne m’aimera plus, un gazon pour la couvrir. Je n’ai pas besoin d’autres biens. — Alphonse ! Alphonse ! plaignez-moi, vous me mettez au désespoir. Me dire que je vous ai donné la fièvre, persister dans ce reproche de négligence et m’en parler de ce ton de reproche c’est me déchirer l’âme, et encore vous me refusez les moyens de me faire entendre, vous ne voulez plus que je vous écrive, vous allez partir pour un lieu que vous me cachez, où vous ne voulez pas trouver une lettre, où vous croyez sûrement que je n’en adresserais pas. O Alphonse ! ô mon fils ! Que vous a fait votre mère ? Quelle idée en avez-vous ? Si c’est ainsi que vous devez la traiter, il faut la laisser mourir, les forces lui manquent pour souffrir autant. Si vous pouviez la voir ! Adieu, adieu Alphonse ! chéri ! Dieu me fait le bien de suspendre mes maux par d’étranges faiblesses, la dernière arrivera j’espère.


Plus tard.

Je reviens à moi, cher enfant, et c’est pour souffrir encore. Vous avez éprouvé un affreux ébranlement, vous voulez partir malade. Vous allez voyager avec le doute dans le cœur, vous voulez donc mourir et me tuer ? Ah ! mon ami, que j’avais raison de pleurer l’année qui vient définir ! Sous quels auspices commence celle-ci ! Qu’attendre ? que faire ? que devenir ? il croit, il croit, le cruel ! que je cesse insensiblement de l’aimer. Oh ! mon Dieu, prenez donc ma vie bien vite et que cette horrible agonie ne se prolonge pas. Il a vu de la froideur dans mes lettres après avoir cru à ma négligence. L’un est vrai comme l’autre. De la froideur pour lui ! ô mon Dieu,