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surtout, s’éprit de ce livre ; la Bavière envia la France. Puis, en 1833, la publication des visions de Catherine commença ; elle fit grand bruit. Arnim, Diepenbrock, Goerres, inclinèrent à quelques réserves ; il semblait que les conversations dans lesquelles Brentano avait raconté à la pieuse fille les expériences d’autres visionnaires eussent parfois influé sur l’imagination de Catherine, et l’on sentait malaisé, sinon impossible, de distinguer, dans les révélations, entre ce qui venait d’Emmerich — ou de Dieu — : et ce qui avait été inconsciemment suggéré par Brentano. Mais puisque Emmerich, sur un signe d’en haut, avait choisi Clément comme confident, l’on ne devait s’en prendre qu’au ciel si un ancien romantique, spectateur de sept années d’extases, avait manqué, parfois, à la passivité d’un bon protonotaire.

Le temps était loin, où l’on pouvait comparer la muse de Brentano à une « princesse chinoise, caprice personnifié, dont la joie la plus grande était de pouvoir déchirer les plus somptueuses étoffes d’or et de soie ; » elle se mortifiait, se macérait, s’imposait des besognes d’apologétique. D’aucuns plaisantaient : « C’est un saint comique, » disait-on de Brentano. Alors l’érudit Boehmer, tout protestant qu’il fût, s’insurgeait : il voulait qu’on respectât cet « homme prodigieux, le plus grand poète de tous les vivans, » doué d’une force d’esprit et d’une richesse d’âme « qui l’égalaient à Dante, à Calderon, à Shakspeare. »

Brentano vint fixer à Munich les dernières années qu’il avait à vivre ; et lorsqu’on le voyait, accoutré en pénitent, porteur d’un vaste rosaire dont il murmurait les dizains, s’acheminer vers la maison qu’habitait Goerres, ce dévot fantôme était à lui seul un symbole, le symbole du rêve romantique étreignant enfin les réalités chrétiennes, et de l’indolence romantique venant enfin s’offrir à l’Eglise pour être disciplinée, travailler et servir. A ses côtés, dans le cercle de la Schoenfeldstrasse, on voyait parfois Boehmer, le patient éditeur des Regestes du vieil Empire germanique, et qui venait de Francfort apporter à Goerres l’hommage de l’historiographie nationale ; les Boisserée, qui, promenant à travers l’Allemagne leurs projets de restauration du dôme de Cologne, offraient à Goerres le salut de l’idéal gothique retrouvé ; le peintre Cornélius et ses disciples, en qui Goerres fêtait « ses adjudans pour l’enseignement de l’histoire allemande, » et qui lui savaient gré d’avoir aidé à la résurrection d’un art religieux et national.