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entrevoir l’apostasie. Il s’enfuit épouvanté, sans même oser faire ses adieux au maître.

Au premier moment, Montalembert ne put retenir un cri de douleur et de blâme. Mais il devait bientôt éprouver lui-même, au cours d’une visite faite à La Chesnaye, en février 1833, une terrible inquiétude. Lamennais lui lut le manuscrit des Paroles d’un croyant. Sous le coup d’une émotion profonde, il vit les conséquences qu’entraînerait la publication d’un tel livre, et demanda en suppliant que cette publication n’eût pas lieu. Lamennais promit de garder le silence, d’être patient, et ce fut sur cette assurance, au milieu des effusions d’une affection filiale, que Montalembert le quitta. Il communia, le jour même de son départ, à la messe que Lamennais avait tenu à célébrer lui-même, et le maître ne se douta point qu’il embrassait ce jour-là, pour la dernière fois, le fils de sa tendresse.

Persuadé que Montalembert ne pourrait jamais se soustraire à l’influence de Lamennais, s’il ne s’éloignait pas de lui pour un certain temps, Lacordaire mit tout en œuvre pour l’amener à i quitter la France et à voyager pendant une longue période. Tous les amis de Montalembert, et au premier rang Léon Cornudet, le pressaient de prendre cette résolution. Vaincu enfin par tant d’instances, il se décida à partir au mois d’août 1833 pour l’Allemagne. Mais une pensée unique occupait son esprit : empêcher Lamennais de se séparer de l’Église, le défendre contre lui-même et contre les autres.

C’est au début de ce voyage, et en passant par Marbourg, qu’il reçut la nouvelle de la condamnation du livre des Pèlerins Polonais de Mickiewicz. Il avait écrit la préface de ce livre. Il se trouvait donc ainsi directement mis en cause et blâmé. Le coup fut douloureux. Quel parti allait-il prendre ? Lacordaire le priait vivement de faire un acte public, de se séparer de Lamennais. Mais il ne pouvait s’y résoudre, et d’autant moins qu’il en était encore à se demander si, au fond, Lamennais s’aveuglait autant qu’on le disait, s’il n’avait pas, au contraire, la vision des temps nouveaux. Que voulait-il ? Y préparer l’Eglise, la rendre plus puissante que jamais sur les âmes, accomplir par elle l’émancipation des peuples. Pouvait-on exiger de lui qu’il désavouât toutes les idées pour lesquelles il avait combattu, le placer entre la révolte et l’anéantissement de sa conscience ? voulait-on l’obliger à reconnaître l’infaillibilité du Pape en matière