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son train. L’hiver de 1833-1834 s’annonce laborieux et calme.

Calme trompeur ! C’est durant cet hiver qu’éclata l’orage de passion, accompagné de scandales divers, qui bouleversa deux ans de cette existence : aussitôt après, survinrent les luttes domestiques qui faillirent expulser la mère de son propre foyer. Depuis le début de décembre 1833, date du départ pour Venise, jusqu’à la fin de juillet 1836, époque où elle gagne son procès contre son mari et recouvre sa liberté avec la possession de ses enfans, George Sand ne sort d’une crise que pour retomber dans une autre. À l’éclat de sa fuite succède celui de son retour. Puis ce sont les reprises de passion pour Musset, suivies d’accès de désespoir. En août-septembre 1834, George Sand est hantée par l’idée du suicide. Seule, la pensée de ses enfans l’en détourne. Cette même pensée ne l’a du reste pas quittée un seul instant, même aux heures les plus tragiques du drame de Venise. Les lacunes de la Correspondance[1]doivent être ici complétées par le Journal, par les lettres à Boucoiran, et les lettres inédites à Maurice. Du fond de la chambre d’auberge où elle improvise le Secrétaire intime en janvier-février, Leone Leoni en février, André en mars, Métella vers avril, Jacques en mai-juin, et les Lettres d’un voyageur un peu à tous les instans, en marge du reste, grâce à un labeur moyen de sept à huit heures par jour, qui atteint parfois treize heures d’affilée[2], la mère ne cesse de suivre ses deux enfans, demeurés l’un à Nohant, l’autre à Paris. Maurice, à Paris, est sous la surveillance de sa grand’mère et de Boucoiran ; à l’occasion, de Papet. Il écrit, elle lui répond : qu’il ne pleure pas, qu’il soit sage avec sa grand’mère, etc. « Écris-moi toujours de grandes lettres où tu me raconteras tout… Lave de temps en temps tes bonnes joues, entends-tu[3] ? » Elle est fière de son travail, de ses succès, et jure qu’en dépit de tout elle sera rentrée pour la distribution des prix. Quant à Solange, laissée à Nohant aux soins de sa gouvernante et de son père, George Sand prie en outre son frère

  1. Ces lacunes sont significatives. Elles s’étendent du 5 juillet au 21 novembre 1833, du 20 décembre 1833 au 16 mars 1834, et d’octobre 1834 au 17 avril 1835 : elles marquent les divers épisodes de l’histoire Sand-Musset. (Voyez Arvède Barine, Alfred de Musset, chapitre sur George Sand, et l’ouvrage déjà signalé de Wladimir Karénine, George Sand, sa vie et ses œuvres, t. II, les deux premiers chapitres.)
  2. Ce travail forcené s’explique par les dépenses excessives de ce voyage, qui fut pour George Sand une ruineuse folie.
  3. 25 janvier 1834 (Archives de Nohant).