Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/815

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se soumettre à la force. Ce caractère-là doit devenir très beau, si on le développe par la persuasion et la tendresse ; mais il peut devenir très rude et très malheureux, si on le blesse. Sois donc occupé à toute heure, depuis ton lever jusqu’à ton coucher, du soin de te faire écouter et croire. Ne lui dis que des choses vraies ; aie pour elle toutes les complaisances possibles. Fais un effort sur toi-même, pour sacrifier ton plaisir au sien, afin que quand tu lui refuseras quelque chose, elle soit bien sûre que c’est dans son avantage et non selon ton égoïsme que tu agis. C’est ainsi que tu te feras aimer et craindre en même temps, et qu’elle t’obéira sans pleurer. Surtout ne la quitte pas, ne la laisse jamais courir sans toi avec les enfans du village ; et, si tu voyais quelque domestique la maltraiter, prends sa défense, car les domestiques ne savent pas toujours gronder à propos. Que l’autorité de Françoise sur elle se borne à la tenir propre, et à l’empêcher de s’éloigner de la maison.

Adieu, mon petit… Je t’embrasse mille fois, mon cher mignon. Porte-toi bien, ne mange pas trop, et aime-moi autant que je t’aime, si tu peux.

à Solange. — Ma mignonne chérie, j’ai bien lu ta lettre. J’espère que tu m’écriras aussi souvent que ton frère, puisque tu sais écrire de manière à te faire comprendre. Je t’enverrai tout ce que tu m’as demandé ; je te prie d’être bien sage, d’écouter ton petit frère, et d’être sûre qu’il t’aime autant que je t’aime, et que quand il te défend une chose, c’est pour ton bien. Je serai bientôt près de vous, et nous ferons les vendanges ensemble.

Adieu, mon gros pigeon, je t’embrasse un million de fois[1].


Plusieurs petites lettres de Solange, de cette année 1835, qu’elle a écrites visiblement seule, prouvent qu’en effet « elle sait écrire de manière à se faire comprendre. » Les réponses de sa mère sont perdues[2]. En voici une, datée du 10 mars 1836, jeudi (George Sand était à La Châtre entre le premier procès jugé, et l’appel) :


Solange à sa mère[3].

Bonjour, ma chère maman, je voudrais bien savoir si tu es encore malade, parce que cela me fâche beaucoup. Tu me dis que ma lettre est très gentille ; mais la tienne est beaucoup plus jolie : si tu n’es plus malade, tu peux venir à Paris, pour que je te donne tes étrennes, parce qu’elles sont bien jolies. Tu es bien mignonne de baiser ma robe et mes souliers bleus, et de m’avoir arrangé mon lit parce qu’il était trop petit…

Adieu, mère chérie, je te rends encore tes [baisers] mil 502 cents mil fois. Ta fille chérie,

Solange Dudevant.
  1. . Inédite. Communiquée par Mme Maurice Sand.
  2. Pour les deux années 1836-1837 il a été conservé 27 lettres ou billets de Solange et seulement cinq de sa mère.
  3. Sauf indication contraire, toutes les lettres qui suivent sont inédites.