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de piano de Solange. Un ami, essaya de détourner George Sand de ce nouveau projet. Elle réfuta ses objections :


J’ai changé d’avis depuis hier, mon ami, et je suis bien décidée, quoi que vous m’ayez dit, à ne plus garder Mlle Suez. Je mettrai donc Solange en pension. Ce n’est pas que j’aie grand goût, — par souvenir sans doute, — pour ces éducations en commun où l’instruction est dispensée, parfois sans grande intelligence, à une quantité d’enfans qui la reçoivent et s’en pénètrent comme elles peuvent… Mais, en y songeant bien, c’est le seul parti raisonnable. Solange ne fait rien chez moi, et son institutrice a épuisé ses peines à la vouloir diriger comme je l’entendais. Quant à penser à lui donner moi-même des leçons, ainsi que je l’avais d’abord entrepris, c’est le dernier moyen que je veuille employer aujourd’hui. Je m’userais, moi aussi, à vouloir obtenir d’elle moins de légèreté et plus d’attention. Il n’est point d’ailleurs, selon moi, de pire institutrice qu’une mère ; nous n’avons en nous, tant nous sommes désireuses de voir progresser nos enfans, ni le calme ni le sang-froid nécessaires pour savoir modérer nos préceptes, graduer nos leçons, et surtout contenir nos impatiences. L’esprit de Solange est, d’ailleurs, devenu trop indépendant pour que je puisse espérer reprendre sur lui une domination que je n’avais jamais complètement exercée.

… Soyez bien persuadé cependant qu’en confiant son éducation à des étrangers, et hors de chez moi, je surveillerai le programme de son propre travail. Je ne veux pas qu’on la fatigue, ni qu’on remplisse de trop de choses son esprit si impressionnable ; je ne veux pas non plus qu’on la pousse trop en dehors des voies de la philosophie et de la religion naturelle, et j’entends qu’elle reçoive une éducation religieuse qui ne soit ni routinière, ni absurde. L’image de Dieu a été entourée par le culte de tant de subterfuges et d’inventions étranges que je désire qu’autant que possible sa pensée n’en soit pas imprégnée. Je tolérerai qu’elle suive, mais seulement jusqu’à sa première communion, les exercices de piété en usage dans la maison. Le mysticisme dont la religion, ainsi qu’on nous la présente, a enveloppé la figure sublime du Christ, dénature tout à fait les causes premières de la grande mission qu’il avait à remplir sur la terre, mission qu’on a travestie pour la faire servir à des intérêts et à des passions de toutes sortes. L’étude philosophique et vraie de sa vie a démontré, au contraire, le néant de la plupart des traditions qui sont venues jusqu’à nous sous son nom, et je ne veux pas pour Solange d’un enseignement de ce genre trop prolongé, et dans lequel elle pourrait puiser, et conserver dans un âge plus avancé, des principes d’exclusivisme et d’intolérance dont je crois qu’il est de mon devoir de la garantir[1].


C’était là tout un programme. Mais où trouver une personne capable, sinon de l’appliquer à la lettre, du moins d’en respecter l’esprit ? George Sand chercha, et, après un bref

  1. La fille de George Sand, p. 20-22.