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paysans et les ouvriers sont plus intéressans que les repris de justice ; et l’on pourrait peut-être recrépir leurs chaumières avant de donner au repentir des autres une si belle façade. Ce luxe architectural des prisons, c’est la période romantique de la bâtisse. Les Roumains en connurent tous les emportemens.

Lorsque je regagnai la grande ligne et que j’arrivai à Ploiesti, vieille cité rajeunie et qui, comme toutes les villes roumaines, embrasse une étendue qu’elle ne remplit pas, je m’arrêtai stupéfait devant un monument où je lus : « Lycée Saint-Pierre et Saint-Paul. » Des lions sculptés en gardent l’escalier de pierre, et les statues des deux Saints la porte d’entrée. Les médaillons sur les murs, les hauts reliefs au tympan du fronton, toute la magnificence de ce palais ou de cette Académie ne répond guère à l’idée d’une simple maison où les enfans viennent apprendre les règles de grammaire et les mathématiques ; les mathématiques surtout ! Ce lycée, dont le devis montait à quatre cent mille francs, en a coûté plus d’un million. Mais, comme les prisons grandioses indiquent chez les jeunes peuples le désir d’affirmer leur humanité, les lycées fastueux prouvent leur enthousiasme pour la science. Et les fenêtres par où ils jettent leur argent ouvrent du moins sur de beaux horizons.

De Ploiesti à Bucarest, la plaine s’étale ininterrompue, océan de maïs d’où émerge çà et là un bouquet d’arbres. Et devant cette immensité de la terre qui va se perdre en l’immensité du ciel, je comprends le mot de détresse d’une vieille paysanne roumaine qui, ruinée, disait un jour à un de mes compagnons : « Je n’ai plus rien : je regarde le ciel et la terre. » Quel geste dans ce mot ! Et que de fois sur cette plaine tant ravagée, les yeux des créatures humaines s’élevèrent et s’abaissèrent également désespérés vers ces deux infinis également silencieux !

iii. — bucarest

Les fortifications et les faubourgs de la ville noircissent dans le lointain comme les môles d’un port. Et nous entrons en gare. Petite gare étroite et basse pour une si grande ville. Les événemens semblent avoir ici dépassé l’attente des hommes. J’aime à voir cette porte de Bucarest qui cède déjà et s’élargira bientôt sous la poussée de la fortune. « Vers cinq heures du soir, écrivait en 1846 St. Bellanger, nous nous arrêtâmes devant