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des chants d’Homère et des bribes de Platon que l’on forme des hommes. Mais son sang un peu lourd coula plus légèrement dans ses veines lorsqu’il s’y mêla du sang grec. Ils lui donnèrent, ces rusés sophistes, un esprit plus fin, un entendement plus souple, une curiosité ingénieuse, peut-être le goût de l’intrigue et des habiles manœuvres, où l’on respire toujours le sens pratique, comme les prises d’air dans les lacets d’une mine. Je vois errer un sourire grec sur les lèvres mêmes qui par habitude maudissent les Fanariotes. Et si le caractère roumain me semble encore très malaisé à définir, j’en devine la cause dans sa précieuse complexité. Il n’est point en saillies : il est tout en nuances. Les teintes chaudes de l’Orient s’y sont refroidies, mais pas au point qu’on ne puisse les reconnaître, et la délicatesse hellénique en affine les lignes et les contours.

Qu’il est donc amusant d’apprendre l’histoire sur les lieux mêmes où elle s’est faite, l’histoire moins écrite que parlée, vivante, agissante, erronée peut-être … Mais qui sait l’histoire ? La lumière scientifique des archives n’est qu’une espèce de soleil de minuit : elle n’éclaire jamais le combat des hommes. Nous nous recréons sans cesse notre passé, et nous n’arrivons à tomber d’accord que longtemps après que cette prétendue vérité n’a plus aucun intérêt pour notre vie. La logique des événemens que nous nous évertuons à reconstruire a été continuellement rompue par leur réfraction sur nos faibles intelligences. L’hérésie historique est l’âme même de la liberté des peuples. C’est par là qu’ils se dérobent à l’étreinte du déterminisme. Que de beaux procès à réviser les Roumains ménagent aux historiens futurs ! Et, si leurs Fanariotes ne me paraissent pas aussi noirs qu’ils les peignent, que dirai-je de leur ancienne boyarerie ? Était-elle à ce point corrompue et croupissante ? Mais alors comment expliquer leur relèvement ? Faut-il croire à une génération spontanée de héros ?

M. Pompiliù Eliade, notre collaborateur, dans son excellent livre sur l’Influence des idées françaises sur l’esprit public en Roumanie, M. Xenopol, dans sa magistrale et monumentale Histoire des Roumains, se sont attachés à nous montrer l’idée nationale cheminant sous des sapes ignorées à travers tout le XVIIIe siècle. Elle tressaille au bruit lointain de la Révolution française ; et, lorsque les Grecs, soulevés par Ypsilanti, s’insurgent contre les Turcs dans la plaine de Buca-