Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/862

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Russie ont ébranlé l’Orient est suivi d’un redressement de la patrie roumaine. Avec quel art ils ont louvoyé entre les convoitises extérieures et les ambitions intestines ! Et quelle prudence alors même qu’ils semblent céder à leur emportement ! Je remarque que presque toutes leurs étapes vers l’affranchissement définitif, — la Révolution de 48, l’élection du prince Couza, et celle du prince de Hohenzollern, — ont été comme des marches de nuit et d’éclatantes surprises. Leurs plus grandes habiletés ont souvent l’air d’aventures, et le procédé révolutionnaire devient entre leurs mains un instrument de précision. Qui leur a transmis tant de sagesse dans la témérité ? Qui donc a transformé, en moins d’une génération, ces fils de prétendus barbares à demi byzantins, élevés par des Grecs et des Tziganes ? Regardez Bratiano, leur chef de file. Il est né plus conspirateur que notre Retz ; mais son esprit pratique perce à chaque instant sous le romantisme des conjurations. Il a le feuillage sonore et prophétique des idéologues et les racines tenaces d’un politique réaliste. La nature l’a doué d’une extraordinaire séduction qui lui survit encore dans le sourire et le regard de ses filles et de ses fils. Ce charme que la langue roumaine appelle le Viens ici, il s’en est servi quarante ans pour grouper autour de sa patrie les sympathies de l’Europe et pour se jouer de la menace des Congrès. Et d’ailleurs, ils ont tous un peu de ce charme, les hommes roumains. Les jeux de la fortune, dont leurs pères ont éprouvé la brutalité, leur ont légué dans les choses de la vie l’insouciance orientale des beaux joueurs. Des politiques grecs, ils ont hérité un esprit dont la mobilité changeante, mais à lumières fixes, se déplace et vous enserre. Et, s’ils ont peut-être emprunté aux Slaves leur grâce insinuante, je reconnais en eux la passion des idées générales qui d’ordinaire caractérise les nations latines. Et, par-dessus tout, ce sont d’incomparables assimilateurs.

À mesure qu’on pénètre dans la société roumaine et qu’on en traverse les zones, leurs diverses colorations s’expliquent moins par la différence des conditions que par celle de la culture, ici toute française, là toute allemande, là mi-parisienne et mi-berlinoise, plus loin déjà anglaise. Le type français-roumain est certainement le plus nombreux et le plus varié. Notre façon de prendre légèrement les choses et de ne jamais étaler nos vertus n’est souvent que la forme plaisante et délicate de notre