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viduelle. La loi agraire de 1864 a surexcité chez le paysan l’appétit de la terre et l’a rendu insatiable. Et nous avions cependant sous les yeux des propriétés indivises où s’étaient conservées, à travers toutes les tempêtes, les plus solides vertus familiales et campagnardes. Mais dans notre vieux droit coutumier que nous tenons des Slaves, nos doctrinaires ont enfoncé, comme un coin, le code français et l’espèce de civilisation napoléonienne. Le cœur même de notre vie morale a éclaté. Regardez ces moshnéni : la plupart ont cru se civiliser en sortant de l’indivision. Ils ont voulu qu’on délimitât leurs propriétés dans la plaine. Seulement dans la montagne, — rochers, forêts, pâturages, terres arables, — le partage était impossible. Alors un homme d’affaires s’est présenté, leur a payé comptant le morceau de montagne ou la montagne elle-même. Et nos gens ont vendu leurs traditions, leur force et leur indépendance. — Cependant, lui dis-je, au moment où vous détruisez ces communautés si vivaces et si naturelles, vous instituez à coups de décrets, pour contenter vos artisans, des corporations factices ! Cela vient, je crois, de ce que les révolutions sont toujours faites par des ignorans et des superbes qui prétendent substituer les chimères de leur raison aux instincts méconnus du vrai peuple.

De Pétrochitza, les collines s’abaissent, et leurs lignes onduleuses vont estomper à l’horizon l’immensité de la plaine. Les routes sont bordées çà et là de petites huttes ouvertes à tous les vents, où de Saintes Images attendent le baiser des passans ; et, de distance en distance, s’élèvent, comme un mât et sa vergue sur la mer, les deux perches croisées qui servent à retirer l’eau d’un puits. Des femmes se promènent dans les champs, leur quenouille à la main. Mais les maisons semblent moins coquettes et plus pauvres à mesure que nous nous enfonçons dans la richesse des blés et des maïs. Nous traversons une petite station thermale (il y en a partout) que le fer de nos chevaux éclatant sur les pavés réveille de sa somnolence. Et, un peu avant le déclin du jour, nous entrons dans Tergovitche, l’ancienne capitale des Princes roumains au XIVe siècle, le Damas de la Roumanie. Des ruines de briques sans grandeur, des chemins à demi défoncés, des cabanes miséreuses, une vieille église envahie par la mousse et le lichen, une préfecture éblouissante, des villas et des jardins, et, au centre, quelques rues pavées et propres, où