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des affiches de théâtre annoncent pour le soir même la Nuit d’Octobre de Musset, monologue. Les villes déchues ne se relèvent jamais. Et les palais administratifs qu’on y construit me font l’effet de mausolées tout neufs dans un cimetière où l’on n’enterrerait plus personne.

Enfin, nous voici dans la plaine libre, sous un ciel de plomb fondu et de rose. Le crépuscule monte comme la buée d’un lac invisible. Des feux s’allument au bord de la route, autour desquels les jeunes gens, les jeunes filles et les vieilles femmes aussi se réunissent pour écouter des joueurs de flûte ou des diseurs de contes, car les Roumains sont friands de musique, et de légendes. Ils aiment à rire, dans leurs fabliaux, des sots Bulgares, des matamores hongrois, des tziganes effrontés, des Grecs paillards, des juifs patelins et voleurs ; mais ils préfèrent à ces contes leurs ballades passionnées, leurs idylles mélancoliques, et leurs bergers qui meurent de ne plus entendre la voix de leurs brebis, et les âmes des fiancées qui se brisent au dernier baiser d’amour comme les rondes de la hora, lorsque les violons cessent. Poésie populaire tout imprégnée des parfums de l’acacia, mais que traverse parfois l’éclair rouge du poignard de l’heiduque ! Ses longues souffrances ont poli la race roumaine. On s’étonne de rencontrer chez des êtres qui furent si constamment malheureux et si ployés par l’épouvante une inspiration si délicate. Ces misérables s’arrêtaient dans leur fuite pour respirer l’odeur d’une fleur sauvage. « Une étoile est tombée à l’endroit où tu chantes, » dit le Cobzar à l’amoureuse dont les larmes scintillent comme des gouttes de rosée sur les violettes de ses yeux. La plaine roumaine, dans les larges nuits tièdes, s’épanouit en douceur et en beauté. Les fuseaux de noisetier se sont échappés de la main des fileuses. Sous les bouquets d’arbres, le bruit des bracelets au poignet des jeunes filles tient les oiseaux éveillés. De beaux costumes errent avec une grâce indolente devant le seuil des chaumières. Et sur la monotonie des maïs endormis les saules rêvent toute la nuit du regard de la lune.

Que ces saules étaient merveilleusement solitaires, où nous fîmes boire les chevaux au grincement de la flèche du puits ! Les puits roumains ont une âme qui répond dans l’ombre au bêlement des troupeaux, à la flûte des pâtres, aux caravanes cheminant sous les étoiles. Ne vous imaginez pas que ces routes silencieuses soient désertes ! Nous étions à peine sortis de la