Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/873

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que le ministre de l’Instruction publique, M. Haret, a récemment établies dans les campagnes, ont fait sortir de la vieille cachette farouche des économies insoupçonnées. Les dimanches de la Roumanie auraient enchanté le bon vigneron Paul-Louis Courier. On danse dans les auberges, on danse sur les routes. Partout danseurs et danseuses se prennent par la main et forment autour des musiciens tziganes un cercle qui, tour à tour, lentement, se rétrécit et s’élargit et frappe la terre. Je ne prétends pas que ce soit une folle danse ! Tant il y a que leur mélancolie s’amuse. Les femmes et les jeunes filles ont des colliers de pièces d’or, toute leur fortune au cou. Les grappes de broderies leur montent et leur descendent des pieds à la tête. Leur ceinture est aussi rouge que le sang de leurs lèvres. Et l’air est parfumé des œillets rouges qu’elles piquent dans leurs cheveux, au coin de l’oreille. « Si tu passes devant mon seuil, a dit le Gobzar, laisse tomber la fleur de tes cheveux : elle y prendra racine. » Leurs cérémonies des fiançailles, du mariage et de l’enterrement, leurs fêtes traditionnelles dénotent une imagination qui se plaît aux symboles dramatiques. Ils sont beaux ; ils ont naturellement grand air, comme les gens d’Orient. Quand ils rencontrent la femme de leur maître, ils lui disent : « Je vous baise les mains, ma jeune dame. » Leurs maisonnettes en bois ou en terre, trop basses, mal aérées, et qui n’ouvrent sur la route et les champs que îles yeux timides et clignotans, sont joliment ornées, à l’intérieur, de serviettes brodées. Les lits servent de banquette ou de canapé pendant le jour. Un tapis éclatant recouvre la malle de mariage. On devine chez les plus pauvres le goût du luxe et de la couleur. Les hommes s’enivrent, mais sans excès, battent leur femme quelquefois, et plus souvent la trompent. Ils sont moins paresseux que résignés. Leurs popes, qui fréquentent les auberges, sont des paysans comme eux et qu’ils aiment, parce qu’ils les sentent tout près d’eux. Ces prêtres ne leur demandent que des génuflexions et des signes de croix : ils ne leur élèvent pas l’âme, mais ils ont des larmes pour les mauvaises récoltes. Vous ne trouverez pas dans leur poésie populaire un seul élan du cœur vers Dieu. Les paysans roumains n’ont vu en Dieu qu’un boyar, aussi terrible que les autres boyars, mais si éloigné qu’il suffisait de faire le geste de lui payer la dîme. Fidèles à leurs traditions, ils n’aiment vraiment ni Dieu ni leurs maîtres ; ils n’aiment que l’amour et la terre.