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Permets-moi de revoir les cyprès et les hêtres
Qui, dans ton mois doré, versent l’ombre à mes champs,
Ou, car déjà ma bouche est moins sonore aux chants,
Permets-moi de mourir sous le toit des ancêtres !

— Ah ! vous du moins, mes vers, retournez au soleil,
Puisque ici, sans écho, ma voix se désespère ;
Allez, frileux enfans d’un misérable père,
Ravir au ciel natal quelque rayon vermeil !

Faible et vieux, je n’ai plus à vivre même un lustre :
Je passerai le Fleuve éternel, sans remord.
Mais vous, mes vers, volez, vivez après ma mort,
Et, s’il plaît aux Dieux bons, rendez mon nom illustre !

Contez à l’avenir plus clément ma douleur,
Inclinez tous les fronts futurs vers mon front blême,
Et faites à jamais de moi le triste emblème
De quelque inexpiable et ténébreux malheur !

Mais quel obscur malheur vaut celui du poète,
Dont la vraie infortune est encor d’être né,
Et qui va, toujours pâle et toujours étonné,
Comme s’il méditait quelque stupeur secrète ?

Alors, mes pauvres vers où j’ai mis tout mon art,
Soyez fameux, afin que mes plus lointains frères
Trouvent l’exemple en moi de leurs destins contraires,
Et pour qu’en vous lisant l’un d’eux songe, plus tard :

« Tout poète, frivole ou grave, trop avide
D’épuiser l’infini du monde en son cœur vain,
Sur cette terre où tout cache un hôte divin,
Subit bientôt l’antique et cruel sort d’Ovide :

Même le plus léger d’abord, le plus joyeux,
Vit comme un exilé plaintif et solitaire,
Pour avoir aperçu, fût-ce un jour, le mystère
Que l’on ne doit pas voir dans la maison des Dieux ! »