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reste volontiers en paix avec les croyances religieuses, quand de perfides et constantes excitations ne l’en détournent pas, et surtout quand ces excitations n’ont pas pour complice le gouvernement lui-même, maître omnipotent d’un pays centralisé comme la France.

Veut-on mesurer le changement qui nous sépare de l’époque où débutait Montalembert ? Ce trait seul va en donner une idée. En 1847, O’Connell mourant traversait [la France, se rendant en Italie. Montalembert, avec une délégation de catholiques, le saluait à son passage. « Nous étions, dit Louis Veuillot, qui fait ce récit dans ses Mélanges, quinze ou vingt, pas plus, tous inconnus, excepté Montalembert qui nous conduisait. Dans ce grand Paris, nous formions à peu près tout le parti catholique. Si Montalembert avait voulu réunir des notoriétés, il eût risqué d’être seul. » Eh bien ! supposons qu’un autre O’Connell traverse aujourd’hui Paris, et qu’une délégation de catholiques soit chargée de le saluer. L’embarras ne serait-il pas de restreindre le nombre des hommes marquans qui la composeraient plutôt que de l’augmenter ? N’a-t-on pas aussitôt présens à l’esprit les noms les plus autorisés, voire les plus illustres, dans les corps savans, dans la politique, dans les affaires, que n’arrêterait aucun respect humain ?

On peut s’en référer à un autre témoignage, à l’un de ceux qui permettent le mieux de juger de la vitalité et des progrès d’une croyance : les sacrifices qu’elle inspire, les sacrifices d’argent en particulier. Or, en quel temps les catholiques ont-ils consacré des sommes plus considérables, dans un aussi court laps de temps, à la création d’écoles libres, à la création de grandes œuvres charitables ? En quel pays a-t-on assisté à un tel spectacle ? Et si l’on regarde aux manifestations de l’opinion, ne voit-on pas que, dans la presse, les organes les plus anciens, les plus lus, et, parmi les périodiques, les revues qui ont le plus d’autorité, sont, ou favorables à la religion, ou respectueux et très décidés dans la défense de la liberté religieuse. La défaite momentanée de la liberté est lamentable, sans doute ; mais il n’y a pas de cause désespérée quand les sentimens qui l’ont fait triompher une fois, subsistent encore dans le cœur de ses partisans.

Je n’ai parlé que de l’influence exercée par Montalembert dans son pays. J’aurais pu invoquer bien des faits, — M. le vicomte