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projet de commencer son livre et de définir son dessein ; et je n’en sache pas qui exprime mieux, avec une brièveté plus saisissante, plus émue et plus discrètement recueillie, et l’ouvrage qu’il se proposait d’écrire, et les dispositions d’âme dans lesquelles il l’abordait.

Le sujet, à tous égards, était admirablement choisi. Il convenait d’abord excellemment au tempérament et au tour d’esprit de Sainte-Beuve. Érudition, finesse aiguë du sens littéraire, historique et critique, pénétration psychologique, goût de la vie intérieure et de la poésie intime, sensibilité religieuse, intelligence des questions et des idées les plus diverses, dons de portraitiste et d’artiste évocateur d’âmes, il n’était, pour ainsi dire, aucune des qualités de Sainte-Beuve qui ne trouvât là son emploi ; et, par la plus heureuse des rencontres, il n’était pas un de ses défauts habituels, — scepticisme moral et goût du libertinage, impuissance à bien comprendre et à pénétrer pleinement, un peu dans tous les ordres, les personnalités les plus hautes, — qui ne fût obligé de se dissimuler et de s’atténuer jusqu’à disparaître, au moins momentanément. Sainte-Beuve s’est oublié lui-même jusqu’à entrer complètement dans la pensée et dans l’âme de Pascal et à trouver, pour parler de lui, un langage vraiment digne de son héros. Et, d’un autre côté, par la nature des questions qu’il soulevait, par la multiplicité des rapports qu’il impliquait comme nécessairement avec toutes les parties de l’histoire du XVIIe siècle, par les rapprochemens qu’il suggérait, par l’étendue des perspectives qu’il ouvrait en tous sens, le sujet était de ceux dont l’intérêt apparaît plus large et plus vivant à mesure qu’on les approfondit davantage. Qu’on veuille bien y réfléchir : ils ne sont pas très nombreux les sujets qui, comme celui de Port-Royal, posant au premier plan la question religieuse, permettent d’enfermer dans leur cadre la vie littéraire, sociale et morale d’un siècle tout entier. L’histoire de la Réforme pour le XVIe siècle, celle de l’Encyclopédie, pour le XVIIIe, celle de Chateaubriand et surtout celle de Lamennais pour le XIXe, voilà peut-être les seuls sujets que l’on puisse mettre en parallèle avec celui que Sainte-Beuve a traité dans son grand ouvrage. Et il a bien senti qu’il tenait là un de ces grands sujets qui portent en quelque sorte leur auteur, et qui le forcent à se déployer