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en franchissant des cols difficiles, parvenir dans la haute vallée du Syr-Daria, entre l’Alaï et le Tchotkal, en Fergana. Fergana, en iranien, veut dire passage ; là en effet aboutit la « route au Sud de la Montagne du Ciel, » le Tian-Chan-Nan-Lou. Route du Sud et route du Nord conduisent l’une et l’autre vers la mer d’Aral et la Caspienne, vers les plaines russes, ou vers la Perse, l’Arménie et la Méditerranée. Par ces deux routes sont passés, de tout temps, les conquérans et les marchands ; par là passera sans doute un jour le chemin de fer direct d’Europe à Pékin ; par là seulement la Chine communique avec l’Occident. Dans l’histoire de l’Asie Centrale, ces passages et les peuples qui en habitent les abords, ont joué un rôle capital.

Toute l’activité asiatique gravite autour de quelques centres particulièrement favorisés par le climat, où la terre et l’eau se combinent en d’heureuses proportions et permettent à l’homme le travail sédentaire. Là viennent s’entasser, en agglomérations nombreuses, les peuples attirés par la douceur de vivre sous un ciel clément, sur un sol fertile ; là s’élaborent les civilisations et s’organisent les empires. La Chine, avec ses fleuves vivifians et ses vallées plantureuses, l’Iran avec ses belles oasis et les grands cours d’eau qui flanquent ses abords, le Tigre et l’Euphrate, le Syr et l’Amou-Daria, ont toujours été les pôles d’attraction de l’Asie Centrale. Deux civilisations s’y sont développées qui, à travers les vicissitudes de l’histoire, malgré les conquêtes et les révolutions, n’ont jamais perdu ni leur physionomie originale, ni leur puissance de rayonnement. Ces terres de prédilection attirent l’homme du désert et de la steppe, le caravanier, le pasteur, le coupeur de routes, comme une table bien servie fascine le vagabond qui n’a jamais connu la jouissance de manger à sa faim ; vers ces édens interdits sont allées de tout temps les convoitises des Turcs et de leurs cousins les Mongols.

Les montagnes qui vont des Pamir aux rives de l’Amour, les vallées qui en descendent, les prairies et les forêts qui s’y intercalent, les passages qui les interrompent, tout ce pays verdoyant qu’arrosent la Selenga, l’Orkhon, la Toula[1], et que « la Kéroulène sainte » sépare du « Grand Vide » (le Gobi), c’est la patrie des Turcs et des Mongols. Dans les plaines abritées, partout où l’eau permet la culture, le Turc s’adonne volontiers

  1. Rivières qui se réunissent pour tomber dans le lac Baïkal : c’est la région où est aujourd’hui Ourga. La Kéroulène est une des rivières qui forment l’Amour.