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qui aurait laissé passer l’occasion favorable, il était trop habile pour se laisser prendre comme ils l’ont fait ! » Mais voici qui est plus grave. Cinq ans plus tard, quand l’affaire est refroidie, Cicéron défend Cælius auquel on reproche d’avoir été trop lié avec Catilina ; il l’en excuse en disant que Catilina en a séduit bien d’autres, qu’il avait l’apparence des qualités les plus belles, s’il n’en avait pas la réalité. « Je ne crois pas, dit-il, qu’il ait jamais existé un prodige pareil, un composé de passions si diverses, si contraires, et plus faites pour se combattre. » Rien, dans ce passage du Pro Cælio, ne contredit formellement les accusations des Catilinaires ; les gens ne sont pas rares, chez lesquels un peu de bien se mêle à beaucoup de mal. Cependant cette façon plus clémente de parler de lui, cette part plus large faite à ses bonnes qualités, pouvait troubler le jugement des lecteurs de Cicéron, et ils devaient se demander lequel des deux Catilina, celui des Catilinaires ou celui du Pro Cælio, était le véritable, lorsque parut le livre de Salluste. Il contenait un portrait du personnage qui dut sembler aussitôt le définitif. Il y était traité d’une façon plus impitoyable encore que Cicéron ne l’avait fait dans ses discours les plus violens ; et, comme l’auteur promettait d’être impartial, et qu’il n’avait aucune raison de ne pas l’être, que la lutte était finie depuis plus de vingt ans et les passions éteintes, Salluste entraîna l’opinion vers la sévérité. Catilina devint alors pour tout le monde le type accompli du conspirateur. Virgile le précipite sans hésiter dans les enfers, place auprès de lui les Furies, et l’attache à un roc, comme Prométhée :


et te, Catilina, minaci
Pendentem scopulo Furiarumque ora trementem !


Je n’ai aucune intention d’en appeler de ce jugement ; personne, dans l’antiquité, ne l’a jamais contesté. Ce qu’on peut faire, c’est d’étudier d’aussi près que possible les renseignemens qui nous sont donnés, de les rapprocher, de les expliquer, et d’essayer d’en tirer, s’il se peut, une figure vivante.

Salluste a bien raison de commencer son portrait de Catilina en disant qu’il était d’une noble maison, car sa naissance peut servir à nous faire comprendre son caractère. La gens Sergia, à laquelle il appartenait, était, comme on disait alors, une famille troyenne, c’est-à-dire qu’elle prétendait descendre d’un des