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faisant tuer dans sa maison le tribun Genucius, qui contrariait leurs desseins. L’exemple fut fidèlement suivi dans la suite. En 654 (pour ne pas remonter trop haut), Saturninus, qui voulait être tribun du peuple, et redoutait la concurrence de Q. Nunnius, une créature des aristocrates, le fit assassiner par des soldats de Marius, son ami, qui les mit très volontiers à sa disposition. L’année suivante, Q. Memmius, un fort honnête homme, qu’on craignait de voir réussir aux élections consulaires, fut tué à coups de bâton par une bande de vauriens, et il n’en fut pas autre chose. On savait qu’un transfuge de la noblesse, Drusus, préparait des lois populaires ; il fallait qu’il n’eût pas le temps de les faire adopter, et un soir qu’il rentrait chez lui, il fut frappé d’un coup de poignard, à sa porte, et alla tomber dans l’atrium, au pied de la statue de son père. L’assassin ne fut jamais retrouvé. Enfin Sylla, qui ne voulait pas que Q. Lucretius Ofella, un de ses amis pourtant, demandât le consulat, après l’avoir inutilement raisonné pour le dissuader de le faire, trouva plus simple d’envoyer Billienus, un de ses bourreaux, l’assassiner. Il me semble qu’après avoir lu cette longue liste, à laquelle on pourrait beaucoup ajouter, on comprend mieux la facilité avec laquelle Autronius et Catilina se décidèrent à tuer les deux consuls, dont ils voulaient la place, et même à y joindre un certain nombre de sénateurs.

Le complot de 688 ne paraît avoir causé à Rome ni surprise, ni scandale ; ce qui achève bien de montrer à quel point les faits de ce genre étaient alors communs. Personne ne songea à faire une enquête ou à instituer des poursuites. Le consul Torquatus ne garda aucune rancune des dangers qu’il avait courus. Quand on l’interrogeait sur la conjuration, il répondait « qu’il en avait bien entendu dire quelque chose, mais qu’il n’en croyait rien. » Les conjurés ne cessèrent pas de venir au Sénat, dont ils avaient voulu assassiner une partie, et sans doute on continua à leur tendre la main, comme à l’ordinaire. Non seulement Pison ne fut pas poursuivi, mais on lui accorda spontanément ce qu’il avait voulu se procurer par un crime ; on l’envoya comme propréteur en Espagne (quæstor pro prætore). C’était un moyen de se débarrasser de lui et d’être désagréable à Pompée dont on le savait l’ennemi. Mais à son arrivée, il fut tué par les soldats mêmes dont il venait prendre le commandement, ce qui mit tout le monde à l’aise.