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détroussaient et rançonnaient les bourgeois. Ces héros de la brune, dont la Roumanie a débarrassé la Dobrodja, ne laissèrent point de dignes héritiers. Les Tsiganes, qui portent ici le fez et le pantalon bouffant, n’étaient pas gens à chausser les sandales de Deli Ali. Leur audace se borne à dévaliser les basses-cours. C’est du moins ce que nous assurait notre aubergiste. Il ne cachait pas son mépris pour ce genre d’entreprise et il ajoutait : — « Non, messieurs, depuis dix ans, Meijidié ne connaît plus les vrais brigands ; mais la ville est belle et possède une mosquée dont on affirme qu’elle n’a pas sa pareille au monde. »

Cet éloge me paraîtrait moins excessif, du prêtre de la mosquée. C’est le plus drôle et le plus sémillant petit iman tatar que sans doute le hasard mettra sur mon chemin. J’ai gardé de lui le souvenir d’une tête pointue, — je ne saurais dire si c’était par en haut ou par en bas, — d’une figure grêlée et d’une paire d’yeux plus éveillés qu’une potée de souris. Il nous introduisit dans la mosquée, avec un geste de bon garçon : « Entrez donc, je vous en prie ; ne vous gênez pas ! » Cette large mosquée était baignée de lumière, mais tout m’y sembla aussi pointu que la tête de l’iman : le dais, la chaise haut perchée d’où le prêtre explique le Coran, les lampes, les colonnettes, les sculptures de bois clair et les versets d’or qui resplendissaient au soleil.

De la mosquée il nous mena, au pas de gymnastique, visiter le séminaire turc. Soixante-dix élèves, Tatars et Turcs, mais plus tatars que turcs, s’y préparent au professorat et à la prêtrise, dans un petit monastère en bois, dont toutes les cellules, qui servent de classe, de dortoirs, de réfectoires et de pensoirs, donnent sur une véranda intérieure. Le gouvernement roumain subventionne les professeurs qui sont Turcs et ne diffèrent en beauté que par la couleur de leur barbe, plus blanche que la neige ou plus noire que l’encre de Chine. Les séminaristes apportent leurs coussins, leur literie, et font bouillir à leurs frais leur viande de mouton. Je parcourus les étroites chambrées. Ah ! les bonnes têtes mongoles ! Si la douceur était bannie du monde, on la retrouverait sur ces visages imberbes et dans ces yeux d’où les sourcils s’écartent comme pour mieux découvrir leur charmante naïveté. Mais quelques-uns de ces yeux étaient bien clos. Il est déplorable de constater que des étudians tatars peuvent ronfler dans leurs salles d’études.

— Il fait chaud ! dit l’iman.