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envers les pauvres ? Pas plus qu’envers un ami malade, que dévore la soif, auquel on refuserait un verre d’eau glacée interdit par le médecin comme un poison mortel. De même on se garderait de livrer la clef d’un grenier à une multitude affamée qui le viderait en un jour. Le devoir du gouvernement est de secourir, mais il ne dépend pas de lui que le grenier soit inépuisable.

« Si, par le suffrage universel, vous donnez au Peuple l’absolu pouvoir, si vous mettez le capital aux pieds du travail, si vous livrez le gouvernement à des majorités irrésistibles, ceux-là feront valoir leurs droits qui considèrent que l’aristocratie et la richesse sont des monopoles destinés à opprimer les pauvres, à défendre les vieux abus, à conserver les terres volées. La conséquence en sera la plus vaste spoliation, et une calamité infiniment pire que celle que pourrait produire l’état actuel. Les barrières qui protègent la propriété une fois détruites, c’est l’arrêt du commerce, de l’industrie, du crédit, c’est l’anarchie et son cortège. Alors un despotisme militaire sera seul capable de sauver du naufrage ce qui restera de la prospérité de l’Angleterre… »

À la suite de ce discours, la Chambre des communes, à une grande majorité, repoussa la pétition des Chartistes. Le mécontentement des ouvriers, accru par la dépression industrielle, fut extrême : leur comité résolut de suspendre partout le travail, et de ne le reprendre que si les exigences de la Charte étaient accordées. Le 12 mai 1842, des bandes d’ouvriers se mirent en marche pour faire exécuter cette décision. Toutes les fabriques, sauf les moulins à blé, furent fermées dans le Lancashire. La foule commit peu d’excès. Les ouvriers tombèrent dans une misère noire. Le mois de mai 1842, le mois sacré, comme on l’appelle, n’évoque d’autre souvenir que celui d’une amère déception.

Depuis, aucune grève politique n’a affligé le peuple anglais. Le suffrage a été élargi. Les règlemens imposés aux fabriques ont remédié à de crians abus. Les unions ouvrières ont atteint un degré de prospérité et de richesse inconnu partout ailleurs, cela grâce à l’essor industriel : la Charte de 1842 ne trouverait plus parmi les unions les adhérens d’autrefois. Sidney Webb, l’historien du Trade Unionism, considère la grève générale comme une conception née d’un accès de fièvre de croissance dans le mouvement ouvrier.