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s’essayait, le petit garçon en a déjà presque tout deviné, à force de curiosité et d’ardent vouloir. On sent qu’il a mis tout son cœur à atteindre, dans le reflet du miroir, chacun des traits de sa gentille figure, la courbe du nez, la moue des lèvres, les cheveux flottans, et la fixité obstinée de ces grands yeux qui craignent, dirait-on, de laisser échapper l’image péniblement saisie. Netteté de la ligne et justesse des lumières, souci constant du détail et non moins constant souci de ce qu’on pourrait appeler la signification « morale, » ou « musicale, » de l’ensemble, tout cela nous apparaît en germe dans ce précieux dessin, sans compter qu’on y devine clairement une âme prête à tout affronter, prête à tout souffrir, plutôt que de s’arrêter dans l’immense effort où elle s’est lancée.

Aussi n’avons-nous pas de peine à croire que Dürer ait « beaucoup appris » chez son maître Wolgemut. C’était, ce Wolgemut, un peintre et graveur sur bois assez habile, appliquant de son mieux les procédés réalistes de l’école flamande, et sachant même y joindre un certain charme d’émotion familière, emprunté aux vieux peintres de sa ville natale. Ce qu’il a enseigné à son élève, pendant les trois années de l’apprentissage, nous le savons par quelques dessins, et surtout par ce portrait du père de Dürer, au musée des Offices, qui, conçu dans le style ingénu des portraits de Wolgemut, gauchement posé et d’un détail trop menu, a déjà, pourtant, un relief et un accent tout à fait nouveaux. Le dessin est sûr, le modelé souple, la couleur un peu dure, mais simple et vigoureuse ; et les mains, trop petites, égrènent leur rosaire avec un mouvement plein de naturel. Tout ce que son maître avait à lui enseigner, l’élève l’a appris, et bien d’autres choses encore que l’honnête Wolgemut ne soupçonnait point.

Quant aux « souffrances » qu’il se plaint d’avoir eu à endurer de la part des « valets de son maître, » c’est-à-dire des apprentis et des aides de l’atelier de Wolgemut, sans doute elles ont dû avoir surtout pour cause la jalousie, plus ou moins inconsciente, inspirée à ces jeunes gens par l’énorme supériorité de leur nouveau camarade. Et comment, avec leurs âmes médiocres et rudes, n’auraient-ils pas détesté un garçon qui, avant d’avoir rien appris, dessinait déjà comme n’aurait jamais su le faire le plus adroit d’entre eux ? Mais il n’est pas impossible aussi que leur malveillance ait eu une autre cause, plus légitime sinon beaucoup plus belle, et se rapportant précisément à l’une des plus frappantes « singularités » natives du caractère du jeune apprenti. Chose étrange, en effet, mais clairement prouvée par ses écrits comme par ses portraits de lui-même, ce fils d’ouvriers ne