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sculptés en pierre ou en bois, de vitraux peints, de tableaux montrant les petites figures des donateurs agenouillés aux pieds de leurs saints patrons. Et le jeune Dürer, à respirer ainsi une atmosphère vivifiante de luxe et de beauté, s’exaltait à la fois dans son orgueil aristocratique et dans l’espoir qui, dès l’enfance, l’avait fasciné, dans son héroïque désir d’arracher à la nature ces secrets merveilleux qu’on lui affirmait qu’avaient su saisir autrefois, et puis emportés avec eux dans l’oubli, « les Apelle, les Zeuxis, et les Protogone. »

« Et lorsque j’eus achevé mon service chez Wolgemut, lisons-nous ensuite dans la Chronique ; mon père m’a envoyé en voyage, et je suis resté absent pendant quatre années, jusqu’à ce que mon père m’ait fait revenir. Je suis parti en l’an 1490, après les fêtes de Pâques, et je suis revenu en 1494, après la Pentecôte. » Malheureusement il ne nous dit pas où l’a conduit ce voyage de quatre ans : et c’est sur quoi ses biographes n’auront sans doute jamais fini de se quereller. Des documens certains attestent qu’il a travaillé à Colmar, à Bâle et à Strasbourg ; mais une tradition, aujourd’hui contestée, veut qu’il ait en outre, dès ce moment, visité l’Italie. « Les choses qui m’ont fait tant de plaisir, il y a onze ans, ne me plaisent plus, écrit-il lui-même à son cher Pirkheimer, de Venise, le 7 février 1506 ; et si je n’avais pas vu de mes yeux ce qui en est, jamais je n’aurais voulu croire personne qui me l’eût dit. » Voilà qui semble, en vérité, confirmer singulièrement l’hypothèse d’un premier séjour en Italie, pour ne point parler d’autres argumens à peine moins probans, comme, par exemple, toute une série de copies ou d’imitations d’œuvres italiennes. Mais il y a un argument qui me parait plus décisif encore que tous ceux-là : si l’étrange et passionnant triptyque à la détrempe du musée de Dresde, communément attribué à Dürer, est en effet de lui, personne ne saurait sérieusement douter que, avant de le peindre, il ait étudié à Padoue les fresques de Mantegna et tout l’ensemble des œuvres produites, autour de ce maître, dans l’atelier de Squarcione. Et le triptyque de Dresde est bien de Dürer, quoique cela aussi ait été nié : jusque dans ses moindres détails, il porte l’empreinte toute vivante de sa main et de sa pensée.

Le jeune homme a vu l’Italie ; il a vu aussi les cités rhénanes où revivent et se transforment les méthodes de patient réalisme de l’école flamande : et déjà le contraste de ces styles divers se manifeste à lui dans un relief tragique, lui imposant la nécessité d’un choix que vont lui rendre particulièrement difficile sa largeur d’esprit et la soif de perfection qui continue à le dévorer. Les années qui suivent son