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style ; mais elle est informe avec tout cela, et ne vaut guère pour nous que par l’écho lointain qu’elle nous apporte du cœur de héros dont elle est sortie. En vain l’auteur s’acharne à enchaîner ses argumens et à polir ses phrases : il y a décidément dans la littérature une part de « métier » qui lui échappe, et dont tout son génie ne parvient pas à lui tenir lieu.

Et sans doute il aurait usé toutes ses forces à ce labeur inutile si, quelques années avant sa mort, de nouveau un heureux hasard ne lui avait permis de se ressaisir, en l’arrachant à l’influence déprimante de l’air glacé et brumeux de sa bourgeoise patrie. Le séjour qu’il lit à Anvers, en 1521, lui donna pleinement la sensation bienfaisante de vivre, une fois de plus, dans un milieu de luxe, d’élégance et d’art. L’hommage unanime de ses confrères flamands et hollandais, des Quentin Metsys, des Lucas de Leyde, des Bernard van Orley, raviva en lui le souvenir de sa valeur d’artiste ; tandis que, d’autre part, le spectacle quotidien des somptueuses et touchantes cérémonies du culte catholique lui rappelait, malgré lui, tout un univers de beauté que le zèle aveugle de ses compatriotes s’apprêtait à détruire. Peu à peu il sentait renaître, tout ensemble, son ancienne foi et son ancien génie ; et c’est de toute son âme à présent qu’il s’élevait contre cette proscription de l’art religieux où lui-même, tout un temps, avait failli consentir. Quand il se retrouva à Nuremberg, un an après son départ pour les Pays-Bas, son horreur des scandales de la Cour romaine ne suffit plus à l’empêcher de redevenir le grand peintre chrétien qu’il était de naissance : fatigué, malade, déjà mortellement frappé, il concentra dans un dernier effort le noble rêve de toute sa vie, et légua au monde son chef-d’œuvre, les Apôtres de Munich, monument incomparable du génie poétique et religieux de sa race.


T. DE WYZEWA.