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Le premier de ces décrets, celui du 19 septembre 1792, ordonnait que les tableaux et autres monumens des beaux-arts placés dans les maisons royales seraient transférés au dépôt du Louvre. Peu après, Roland, alors ministre de l’Intérieur, ayant demandé l’autorisation de vendre les meubles du château de Versailles, le représentant Manuel renchérit sur cette demande et proposa d’afficher « la maison à vendre ou à louer. » Faut-il ajouter qu’il y avait longtemps que cette « maison » avait fort déplu à Mme Roland ? Rappelant dans un chapitre de ses Mémoires le séjour que, toute jeune encore, elle avait fait chez une amie de sa mère, dans un logement situé sous les combles du palais de Versailles, elle termine ainsi son récit : «… Je n’étais pas insensible à l’effet d’un grand appareil ; mais je m’indignais qu’il eût pour objet de relever quelques individus déjà trop puissans et fort peu remarquables par eux-mêmes. J’aimais mieux voir les statues et les jardins que les personnes du château et, ma mère me demandant si j’étais contente de mon voyage : « Oui, lui répondis-je, pourvu qu’il finisse bientôt ; encore quelques jours, et je détesterais si fort les gens que je vois, que je ne saurais que faire de ma haine. — Quel mal te font-ils donc ? — Sentir l’injustice et contempler à tout moment l’absurdité. »

L’heure avait sonné où, surexcitée encore par une lutte ardente et implacable, cette haine se déchaînait sans frein. Le représentant Charles Delacroix, envoyé à Versailles en mission avec son collègue Musset, aurait été sur le point de passer des paroles aux actes, s’il est vrai, comme on l’a raconté, que, regardant, des fenêtres du château, la belle perspective du parc, il ait dit : « Il faut que la charrue passe ici. » Ce qui n’est pas douteux, c’est qu’à Versailles même une fraction de la population, numériquement faible, mais singulièrement remuante, n’eût pas mieux demandé que de voir cette œuvre de destruction s’accomplir. Sur la façade de la maison commune, on ne se contentait pas de remplacer le buste de Louis XVI, de Louis le Traître, comme on l’appelait alors, par l’image de Rousseau, dont on disait : « Si Rousseau remplace les rois et les prêtres, la philosophie et le bonheur régneront sur l’Univers. »

On ne se bornait pas non plus à effacer des monumens publics « les peintures, sculptures et inscriptions retraçant la royauté et le despotisme. » Un nommé Pacou, — qu’une note retrouvée dans l’armoire de fer signale « comme aussi mauvais raisonneur