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passions déchaînées, combien durerait-il ? Aussi, tout en prenant grand soin des œuvres d’art que renfermait le château, les habitans de Versailles s’attachèrent-ils à faire attribuer à cet édifice un caractère d’utilité publique, qui en deviendrait la protection. L’un des premiers qui prit cette heureuse initiative, et à ce titre il mérite d’être cité, fut un nommé Duval, qui présenta à la Convention une pétition signalant Versailles comme désigné pour devenir « la ville savante de la république, la capitale des beaux-arts et des sciences, l’Oxford de la France. » Le pétitionnaire ne négligeait pas de tracer un aperçu de cette future organisation : les appartemens abriteraient les collections artistiques ; la galerie des Glaces servirait aux réunions de savans ; la bibliothèque serait installée dans le salon de la Paix ; la chapelle deviendrait le Conservatoire musical ; à l’Opéra du château, dont la vaste scène était si bien machinée, on jouerait les tragédies de Gluck et d’autres œuvres classiques ; dans les écuries construites par Mansart, une école d’équitation pourrait être installée… « Tout est préparé, concluait l’auteur de cette pétition, car Versailles est la seule ville d’Europe qui puisse être assimilée aux belles villes de l’antiquité. »

Ce projet devait rester lettre morte ; mais déjà il indiquait un ordre d’idées dans lequel on devait bientôt entrer, en donnant à Versailles une affectation qui, pour provisoire qu’elle fût encore, avait tout au moins l’avantage de sauvegarder le présent et de préparer l’avenir. Malheureusement, à cette heure-là, par suite de la détresse du Trésor, qui ne savait où découvrir des ressources, on enleva du château, et ce fut une perte irréparable, la plupart des meubles, d’une rare valeur, qui en étaient le précieux complément. Les vastes salles du palais, ainsi dégarnies, furent transformées en une sorte de magasin général de tous les objets d’art saisis, au nom de la République, dans les ci-devant résidences princières, dans les maisons et châteaux appartenant à des émigrés ou à des condamnés, dans les églises et monastères. Beaucoup furent vendus aux enchères ou servirent à indemniser partiellement divers créanciers de l’État qui, au lieu d’argent, reçurent des meubles, des porcelaines, des tableaux, des bijoux. Mais, même après toutes ces ventes et tous ces prélèvemens, il devint indispensable d’introduire un peu d’ordre dans cet amas encombrant et confus. Une commission, désignée pour en dresser l’inventaire, élabora la création, à