Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/692

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lutions. Mais Dieu m’avait préparé en ce pays le secours dont j’avais besoin. La Providence, par un enchaînement de grâces admirables m’a conduit au terme où elle m’attendait[1]. »

Grande fut la joie de l’abbé Jean en recevant cette nouvelle, mais tempérée cependant par un certain sentiment de défiance, fruit d’une première déception. Les lettres qu’il continua de recevoir d’Angleterre n’étaient pas faites d’ailleurs pour lui inspirer une entière sécurité. « Sans M. Carron, répétait Lamennais, je n’aurais jamais pris le parti auquel il m’a déterminé ; trop de penchans m’entraînaient dans une autre voie. Aujourd’hui même, je ne saurais penser à la vie tranquille et solitaire de la Chesnaie, au charme répandu sur tous ces objets auxquels se rattachent toutes mes idées et tous mes désirs de bonheur ici-bas, sans éprouver un serrement de cœur inexprimable, et quelque chose du sentiment qui faisait dire à ce roi dépossédé : Siccine séparas, amara mors[2]. »

De tels regrets étaient bien prématurés, ou bien tardifs. Mais ce n’était plus le temps de s’y abandonner, car, au mois de novembre 1815, la petite colonne de réfugiés, dont l’abbé Carron était le chef, rentrait en France.


V


Le premier soin de Lamennais, en arrivant à Paris, fut d’aller voir l’abbé Teysseyrre pour lui faire part de la grande résolution prise à Kensington de concert avec M. Carron. Le pieux sulpicien ne pouvait manquer de s’en réjouir, car lui-même n’avait pas épargné les plus vives instances pour attirer au sacerdoce le frère de son meilleur ami. Qu’on en juge plutôt par l’étrange lettre qui suit : « Il me tarde d’apprendre que le plus jeune d’entre vous, marchant sur les traces glorieuses de son aîné, ait enfin contracté ces doux et sacrés engagemens qui l’uniront irrévocablement à son Sauveur et à l’Église pour qui il témoigne tant de zèle et d’amour. Si quelques entraves arrêtent encore l’élan généreux de son cœur, qu’il nous vienne au plus tôt ; nous le mettrons dans les maternelles et bénites mains de saint François de Sales, et nous l’environnerons de tant de grâces, de tant d’exemples, de tant de lumières et de tant de

  1. A. Blaize, Lettre du 17 août 1815.
  2. A. Blaise, Lettre du 12 septembre 1815.