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nomination des évêques, pouvoir immense qui, en principe, ne peut appartenir qu’à l’Église, et qui, en fait, n’appartient à l’État qu’en vertu d’un abandon que l’Église lui en a fait. Quand on se place au point de vue de celle-ci, et qu’on met dans son plateau de la balance la compensation qui lui a été donnée, on est porté à la trouver légère. Dans le contrat de 1801, ce n’est certainement pas l’État qui a été le plus mal partagé, et nous n’en sommes pas surpris lorsque nous songeons que ce contrat a été négocié et signé par le général Bonaparte. Ce pouvoir de nomination directe des évêques et indirecte des curés, la séparation l’enlève à l’État. On voit très bien ce qu’il perd, on voit moins bien ce qu’il gagne, car, si nous mettons dans son propre plateau de la balance les quelques millions d’économie que pourra rapporter, très éventuellement, un jour, la suppression du budget des Cultes, c’est pour le coup que la compensation paraîtra mesquine. Le résultat est que l’État perd un droit et que l’Église recouvre une liberté. Le sacrifice consenti par l’État s’expliquerait si son contrat avec l’Église dénaturait son propre caractère, qui est, et qui doit rester purement laïque. Mais il n’en est rien. M. Charles Benoist a dit avec raison, ou plutôt il a prouvé d’une manière frappante que l’État était aujourd’hui absolument laïcisé. Il est affranchi, dans toutes les manifestations de son activité, des liens qui ont pu autrefois l’attacher à une religion quelconque. On confond deux choses différentes, la religion et l’Église. La religion est un corps de doctrine que l’État ignore complètement : l’Église est un gouvernement et, à ce titre, il peut avoir des rapports avec un autre gouvernement, sans que la moindre atteinte soit portée au caractère indépendant de l’un et de l’autre. C’est le principe des Concordats. Loin de méconnaître la distinction entre le spirituel et le temporel, il la consacre, et c’est encore ce qu’a fait remarquer M. Charles Benoist en remontant au Concordat de François Ier. Il avait l’air de faire un paradoxe et il énonçait une vérité, en disant que ce Concordat avait été chez nous la première séparation de l’Église et de l’État. Nous avouerons, pour faire plaisir à M. Briand, qu’il est arrivé aux papes de vouloir confondre tous les pouvoirs et les réunir entre leurs mains, et son rapport prouve d’ailleurs avec surabondance que les rois et les empereurs ont eu souvent la même ambition. Les Concordats ont été un frein pour les papes et pour les rois, et un frein d’autant plus puissant qu’il était consenti. Si on le supprime, les conflits deviendront plus nombreux que jamais, et, après les avoir multipliés en quelque sorte à leur source, on aura brisé l’instrument qui servait à les dénouer.