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écrivait un jour M. Jules Lemaître du monde créé par Emile Zola, « où les concierges parlent comme des poètes et tous les autres comme des concierges. » Il ne savait pas encore comment y parlent les boulangers. Celui de l’Enfant-Roi s’exprime non seulement en poète, mais en penseur, en prophète parfois. Paris fait le constant objet de sa méditation, quand ce n’est pas de son extase ou de son délire. Sur le point de fermer sa boutique, après la sortie des théâtres, lorsque ses derniers cliens se sont retirés, M. Delagrange évêque la vision de « Paris qui se couche, las de sa journée de travail, fiévreux de sa soirée de plaisir et d’amour… Les fenêtres bientôt vont s’éteindre une à une, lorsque Paris aura soupe et soufflera toutes les bougies de toutes ses alcôves. » Encore plus que le Paris qui dort et le Paris qui aime, le Paris qui mange a naturellement le don de jeter ce boulanger en des vaticinations lyriques, en d’apocalytiques transports. « Du pain, du pain, » s’écrie-t-il, excitant ses mitrons au travail, « il faut toujours du pain au géant dévorateur. Et il n’y a jamais trop de blé, trop de farine ; c’est par panerées, par charretées qu’on jette le pain à l’insatiable faim de Paris… Va, pauvre homme… que le deuil frappe… Il te faudra commander, surveiller, travailler la nuit pour la faim du monstre… Il faut du pain, du pain, du pain pour Paris qui dévore et enfante. »

Observez l’alliance de ces deux mots, de ces deux idées, et comme le rapport entre l’alimentation et la natalité parisiennes rattache heureusement l’un à l’autre les deux principaux « motifs » de l’œuvre : le héros à son « milieu, » l’enfanta la boulangerie. Avouez aussi qu’un boulanger qui dit des choses pareilles, et surtout qui les chante, dépasse et déborde étrangement son personnage. Il est beaucoup moins qu’il ne représente et ne signifie. Tout l’esprit, toute l’âme de la panification a passé dans sa voix. Ainsi le réalisme peut bien occuper en quelque sorte les parties moyennes de cette « comédie lyrique ; » le symbolisme en éclaire, en échauffe les profondeurs. L’acte du fournil est à cet égard le plus caractéristique de tous. Le four, voilà le véritable symbole de l’Enfant-Roi.

Mais la musique ? demanderez-vous enfin. Mon Dieu, la musique, il n’y en a qu’un mot à dire : elle est mauvaise. Elle ne l’est peut-être pas comme le fut trop souvent jusqu’ici la musique de M. Bruneau : par la violence et la laideur agressive ; elle le serait plutôt par l’insignifiance et la pauvreté. Ce qui manque le plus à l’Enfant-Roi, ce n’est pas la poésie — et pourtant ! — c’est encore la musique. D’un sujet réaliste également et qui choquait à plus d’une reprise par la trivialité