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« bonne chrétienne, » comme elle se qualifie elle-même, a une façon extrêmement large de comprendre le christianisme. Elle aussi, elle est un type assez inattendu dans la littérature et la société du XVIIe siècle : c’est la demi-vierge chrétienne. Dès le soir de ses noces, elle trouve le moyen de ménager Villarceaux qui lui plaît fort, en lui donnant l’assurance que le mariage avec Scarron est un mariage blanc. Plus tard elle converse très tendrement avec le beau marquis à travers la charmille, et même elle va le soir se promener avec lui dans les bois. Elle raffole du danger : c’est pourquoi elle accepte un rendez-vous avec Villarceaux, la nuit, chez Ninon. Là, par ses agaceries et ses refus, elle allume si bien le désir chez son partenaire, et les choses sont à tel point, qu’immanquablement c’en était fait de sa vertu si, à l’instant critique, on ne voyait apparaître qui ? Scarron.

Oui, Scarron, avec une rapière… On lui a révélé l’intrigue de sa femme et de Villarceaux. La rage lui a fait recouvrer soudain l’usage de ses membres, il brise sa chaise d’infirme, il se lève, il accourt. Au moment où Franchie, défaillante, va tomber dans les bras de son heureux amant, la porte de la chambre est enfoncée, Scarron titubant, chancelant, horrible, surgit l’épée à la main. Il marche comme par bonds de bête estropiée. Le mari de comédie est devenu un mari tragique. C’est le vengeur, c’est le justicier… Scarron brandissant un grand sabre, — telle est la trouvaille. Elle enrichira la « légende » du bonhomme d’une bouffonnerie plus énorme que toutes celles dont son histoire était pleine.

On voudrait pouvoir louer du moins dans cette comédie tragique la virtuosité du style et les prouesses de la versification. Il y a beaucoup de fioritures dans les vers de M. Mendès, des regards qui sont « de la clarté close » et des « yeux transparens d’un vide aérien. » Ce style maniéré, contourné, souvent obscur, et aussi peu que possible fait pour la scène, est en outre le plus souvent d’une extraordinaire maladresse d’expression.

M. Coquelin fait toute sorte d’efforts pour animer ces choses mortes et égayer cette fantaisie lugubre. Il n’y arrive que rarement. Mlle Sylvie est une Mme Scarron bien sautillante.


Chacun sait qu’une des tendances qui dominent dans le théâtre d’aujourd’hui, c’est l’optimisme. Après avoir pendant une dizaine d’années broyé du noir, notre comédie peint la vie tout en rose. Elle ne nous montre plus que de beaux caractères, des âmes généreuses, éprises de délicatesse et de désintéressement, à la fois simples et grandes. Elle