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moment, reçu celles du peintre d’histoire Guillon-Lethière, afin d’être mieux en état de concourir pour le prix de Rome.

Plein de déférence envers ses maîtres, Rousseau suivit d’abord avec docilité des enseignemens qui cependant ne répondaient guère à ses propres aspirations. Afin de leur complaire, tout en apprenant les élémens de son métier, il s’appropriait les procédés de composition en vogue à cette époque. L’année où il affrontait le concours, le sujet donné était : le Cadavre de Zénobie recueilli dans les flots de l’Araxe par des pêcheurs, et l’on conçoit qu’un pareil programme fût peu fait pour stimuler l’imagination d’un artiste assez illettré, auquel le nom de Zénobie était aussi inconnu que celui de l’Araxe. Pour se dédommager de ces contraintes, Rousseau, dès qu’il le pouvait, gagnait les champs et retrouvait la nature. Il n’avait pas à la chercher bien loin. Partout, dans la banlieue, à Saint-Cloud, au Bas-Meudon, à Saint-Ouen, et à Paris même, dans les grands jardins et les terrains vagues qu’on y voyait encore en maint endroit, bien des coins pittoresques sollicitaient ses pinceaux. Il goûtait, en pleine liberté, les jouissances que lui procuraient ces études et sentait que c’était là sa vraie voie. Bientôt même, comprenant qu’entre les deux directions qui s’offraient à lui l’écart était trop grand pour dédoubler ainsi sa vie, il se séparait de ses maîtres et, dans la belle saison, en 1828 et 1829, il s’installait à Moret, sur les bords du Loing, puis sur les confins de la forêt de Compiègne et dans la vallée de Chevreuse, à portée des études les plus variées.

Celles qu’il peignit alors, très serrées, mais un peu menues dans les formes, un peu ternes et opaques dans les colorations, témoignent de sa sincérité. L’hiver le ramenait à Paris, où il faisait au Louvre des copies, notamment d’après Claude Lorrain et Karel Du Jardin. Autour de lui, la lutte romantique était déjà engagée et ses aînés prenaient une part active à la mêlée. Rousseau, avec son caractère doux et pacifique, était peu fait pour la bataille. Loin des discussions violentes où se dépensaient les ardens, il vivait à l’écart et travaillait sans relâche. Perdu dans la grande ville, il s’y sentait encore plus isolé qu’à la campagne.

Sur la foi de renseignemens qu’on lui avait donnés, il gagnait l’Auvergne au mois de juin 1830, tenté par la sauvagerie de cette région, alors tout à fait retirée. Il y trouvait amplement de quoi satisfaire ses admirations. Au cœur même de notre France, sur ce vieux sol volcanique, il rencontrait partout des