Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beautés qui le passionnaient. Les endroits les plus farouches l’attiraient : vastes horizons de montagnes austères, pâturages immenses des hauts plateaux, nappes des lacs tranquilles, endormis au fond des anciens cratères, terrains fortement construits avec leurs reliefs logiques et très nettement accusés, forêts de sapins séculaires et, sous leur couvert impénétrable, les eaux écumantes et sonores des cascades, il y avait là de quoi ravir les enthousiasmes du jeune peintre. Mais la vie n’était pas commode dans les gîtes de hasard dont il devait se contenter. Sa santé cependant s’était fortifiée et, partageant la nourriture frugale et les installations sommaires des fromagers et des sabotiers, il ne craignait plus ni la fatigue, ni les privations. Capable de longues courses sous la pluie ou le soleil, il s’oubliait, tant que durait le jour, à travailler en plein air, avec un opiniâtre désir de s’instruire, s’appliquant de son mieux à copier très naïvement ce qu’il voyait. Les abords du lac Chambon, les environs de Thiers, ceux surtout de cette merveilleuse ville du Puy que des touristes étrangers proclament la plus pittoresque de l’univers, — l’avaient retenu tour à tour et les loyales images qu’il rapportait de ces différentes stations d’étude en marquent les étapes successives.

Rentré à Paris, il y retrouvait chaque soir, après son travail quotidien, le petit cercle d’artistes qu’il connaissait déjà, entre autres Decamps, Diaz et Ary Scheffer. Ce dernier, frappé de ses progrès rapides, lui témoignait de bonne heure une sympathie qui, grâce aux relations qu’il comptait dans la haute société, devait lui être très utile. Mais, timide et réservé comme il l’était, Rousseau se sentait toujours plus dépaysé parmi les militans du romantisme. Avec sa parole un peu embarrassée et zézayante, il n’avait aucun goûta se mêlera leurs tapageuses revendications. Son langage était la peinture, et c’est par ses œuvres seules qu’il entendait formuler ses convictions. En 1831, il envoyait pour la première fois au Salon un Site d’Auvergne, dans lequel il essayait de donner un résumé de son talent. Comme il ne se contentait pas d’à-peu-près, il avait insisté un peu lourdement sur les détails et amoindri d’autant la franchise de l’impression. Aussi cette œuvre portait-elle la trace trop visible de ses efforts et, parmi les toiles qu’exposaient cette année Jules Dupré, Paul Huet et Flers, elle ne fut guère remarquée.

Avec les premiers soleils, la nature allait le consoler de son