Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souleva de nombreuses et très vives protestations. Un amateur éclairé de cette époque, M. Paul Périer, acheta pour 2 000 francs, somme alors importante, l’œuvre que la brutale décision du jury avait contribué à rendre plus célèbre encore et qui marque une date dans la carrière du paysagiste.

C’est également en Vendée, sur les bords de la Sèvre Nantaise, que Rousseau avait réuni les élémens d’un de ses tableaux les plus réputés, cette Vallée de Tiffauges qui, après avoir longtemps appartenu au baron Papeleu, a passé ensuite dans diverses collections avant d’atteindre en vente publique, il y a quelques années, le chiffre respectable de 75 000 francs. Bordée de peupliers, de saules et de frênes élancés, dominée au centre par une colline boisée, la modeste rivière occupe tout le premier plan de la toile, et son eau peu profonde laisse entrevoir dans sa transparence les grandes herbes qui tapissent son lit et qui, semblables à de vertes chevelures, se tordent, mollement agitées, au gré du courant. Cette eau, qui s’écoule lentement au milieu d’une riche végétation, parmi des roches moussues, est une merveille d’exécution. Le peintre a su indiquer à la fois sa couleur propre, les reflets des arbres voisins et du ciel qui s’y mirent, les plantes qui flottent à sa surface et celles qui plongent dans ses profondeurs. Malgré la complication d’une pareille tâche, l’œuvre paraît simple et comme produite spontanément. On peut, en sa présence, s’absorber dans sa contemplation, comme en face de la nature elle-même ; un examen prolongé n’y fait découvrir que des motifs toujours plus nombreux d’admiration.

De semblables recherches étaient alors trop nouvelles, et le public y était trop peu préparé pour qu’il goûtât beaucoup l’art de Rousseau. Un amour de la nature aussi sincère était tenu pour révolutionnaire. Mais la constance et la loyauté du paysagiste lui valaient parmi ses confrères des sympathies bien faites pour le toucher. Entre tous, Jules Dupré se montrait un de ses plus ardens défenseurs, et il ne laissait passer aucune occasion de lui témoigner la camaraderie la plus dévouée. Un peu plus favorisé de la fortune, sans être cependant mieux traité par le jury, il réconfortait Rousseau dans ses disgrâces. Voyant le souci de perfection toujours inquiet qui le poussait à retoucher indéfiniment ses tableaux, il le sermonnait à cet égard, essayant de sauver de ses propres mains des œuvres excellentes dont des