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De quelques-uns de ces humbles motifs l’artiste a tiré des tableaux justement réputés, comme le Four banal, une pauvre construction en briques, au-dessus de laquelle des buissons de chênes rabougris tordent leurs bras noueux, et de part et d’autre sous le ciel morne, la bande étroite d’un lointain bleuâtre qui, sous la chaleur accablante de cet après-midi d’été, semble vibrer d’un tremblement continu. Le Marais du Louvre, qui a fait partie de la collection Hartman, est encore plus célèbre. C’est une vue de la plaine immense qui des Landes se déroule jusqu’au pied des Pyrénées, dont les cimes neigeuses se découpent à l’horizon. Le ciel, d’un gris terne, manque, il est vrai, de transparence et de profondeur, et le premier plan sombre, peu reflété, et disposé en repoussoir avec une complaisance trop évidente, pèse lourdement sur le cadre. En revanche, le centre du paysage est traité d’une façon magistrale. La chaîne des montagnes et la dentelure de leurs sommets, les plans successifs des terrains et le marais surtout, avec sa végétation flottante de nénufars dont les feuilles d’un vert tendre se mêlent au bleu sourd de l’eau, en un mot, tout ce qui peut faire l’intérêt du motif choisi est si vrai, si imprégné de lumière, d’un dessin si savant et d’une exécution si loyale, qu’en présence de ces vastes étendues silencieuses, on se sent pénétré de paix et de recueillement. On songe aux satisfactions qu’a dû goûter l’artiste au milieu de cette contrée grandiose, dont il a si bien rendu l’attachante poésie.

Ce furent là pour lui des momens privilégiés ; mais l’idéal qu’il poursuivait était trop complexe, trop inaccessible pour qu’ils pussent durer bien longtemps. Cet art, en effet, suppose une telle continuité, une telle concentration d’efforts, qu’il est peu compatible avec le calme et la sérénité de la vie. Aimant profondément la nature, l’admirant jusque dans ses moindres détails, Rousseau aurait voulu que chacune de ses œuvres en exprimât toutes les beautés. Jamais satisfait, il ne les croyait jamais finies. Elles perdaient, en somme, plus qu’elles ne gagnaient, à ses remaniemens répétés. Poussé par l’illusion du mieux, il détruisait ce qu’il avait fait, sans être assuré de retrouver les qualités dont il ne s’était pas contenté. Alors commençaient pour lui des désespoirs profonds. À force de peiner sur son œuvre, il devenait incapable de la juger et, en dépit de son énergie, il tombait dans ces accès de découragement