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auxquels, dès sa jeunesse, Thoré l’avait vu en proie. C’est en de telles circonstances que les sages conseils de Dupré étaient les bienvenus et avaient le plus de chance d’être écoutés. Très judicieusement, son ami le suppliait de s’arrêter à temps dans son travail, de se résoudre à certaines imperfections, gages parfois de mérites supérieurs. Si l’entrain faiblissait, il devait retourner au mur son tableau, tâcher de l’oublier afin d’obtenir ainsi la faculté de le juger, de savoir où il en était de sa tâche, et ce qu’il convenait de faire pour la mener à bien.

Rousseau sentait tout le prix de cette amicale franchise et désireux à la fois de prolonger sa campagne d’études au dehors et de ne point se séparer de Dupré, il était allé, au mois d’octobre 1845, s’établir près de lui, à Monsoult, sur la lisière de la forêt de l’Isle-Adam. Il y trouvait un pays agréable, de beaux arbres élégans, penchés sur le cours de l’Oise ou semés dans les gracieuses vallées qui y débouchent. Quelques-uns des tableaux qu’il peignit alors, contrastent par la clarté de leur aspect et l’aisance de leur facture avec ses œuvres précédentes. À voir ces grands peupliers épars sur les berges de la paresseuse rivière, leurs feuillages dorés qui s’élèvent dans l’azur du ciel, les eaux calmes qui les reflètent, la brume violacée qui, vers le déclin des belles journées, estompe l’horizon, on dirait que la nature déjà alanguie s’est parée de ses grâces les plus séduisantes avant d’entrer dans les longs sommeils qui vont suivre.

Les froids venus, les bois voisins offraient à Rousseau leurs austères solitudes. Frappé par la beauté d’un effet fugitif, il avait retracé dans le Givre le spectacle vraiment féerique auquel il assistait, l’aspect étrange de ces bois saisis par la gelée qui en dessinait délicatement toutes les formes et jusqu’à leurs brindilles les plus menues. N’ayant sous la main qu’une toile déjà utilisée, il avait su, sous les légers glacis de blanc dont il la recouvrait, en laisser çà et là transparaître les dessous. Il tirait ainsi parti des heureux hasards que lui offrait cette pratique pour obtenir les tons opalins, finement nuancés, dont la forêt s’était parée. L’entrain avec lequel il enlevait cette peinture lui conservait une vivacité et une franchise d’impression qui se retrouvent rarement à ce degré dans ses ouvrages plus longuement travaillés.

À côté de ces improvisations, il se proposait de fixer dans des compositions plus importantes et mûries à loisir le souvenir de beautés moins passagères. C’est alors qu’il commença cette