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qu’elle doit lui fournir pour chaque œuvre nouvelle. De plus, il est nécessaire que ces études assidues embrassent toutes les parties-de son art. Si, suivant son tempérament particulier, chacun incline vers les moyens d’expression, — dessin, couleur ou effet, — qui lui agréent le plus, Rousseau, lui, aspirait à user pleinement de toutes les ressources dont la peinture peut disposer. Il voulait que le dessin eût assez de souplesse et de pénétration pour rendre la diversité infinie des formes ; que la couleur possédât toute sa puissance et son éclat ; la lumière toute la vérité et la vie de ses contrastes. Pour lui, ce n’était pas seulement l’accord, mais l’exaltation de tous ces élémens de la technique du peintre qui doivent donner à son œuvre sa complète signification.

La Révolution de 1848 et les modifications qu’elle apporta dans le recrutement du jury des Salons de peinture allaient enfin fournir à Rousseau l’occasion de manifester tout son talent. Toutes les toiles envoyées par lui au Salon de 1849 y furent admises. C’étaient des œuvres exécutées déjà depuis plusieurs années et dont les motifs étaient empruntés aux études faites pendant son séjour à l’Isle-Adam : l’Avenue, les Terrains d’automne, et surtout cette délicieuse Lisière de forêt, d’après laquelle Français lithographiait plus tard, pour la collection des Artistes contemporains, une fidèle et excellente reproduction. Un jeune chêne resté seul debout, au milieu d’une coupe, profile sur le ciel sa silhouette nerveuse ; à côté, les cadavres de quelques arbres jonchent le premier plan et dans les ornières d’un chemin frayé pour l’exploitation de la coupe, des flaques d’eau reflètent çà et là l’or du couchant. Au loin, s’étend la profondeur des grands bois déjà envahis par les ombres du soir, et il semble que dans l’atmosphère humide, on perçoive les acres senteurs qui se dégagent des troncs abattus et des terrains détrempés par la pluie.

C’était là comme une révélation bien faite pour ravir tous ceux qui aiment la nature dans sa simplicité et son abandon. Sans être encore compris du grand public, ces ouvrages furent très appréciés par les peintres, et Rousseau fut acclamé comme le chef de notre école de paysagistes. Au sortir de l’isolement où il avait vécu, son âme s’ouvrait aux marques de sympathie qui lui étaient données et qui le dédommageaient amplement des injustices passées. On lui avait fait espérer que la décoration de la Légion d’honneur serait la consécration officielle de ce succès ; mais, vers la fin de l’exposition, un de ses tableaux, d’abord