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Dans le choix des données qui les attirent, Rousseau et Millet, on le voit, obéissent à un idéal pareil et visent tous deux plus à la force qu’à la grâce et à l’élégance. Leur amitié était devenue de plus en plus étroite ; ils avaient besoin l’un de l’autre et se complétaient mutuellement. Leur fécondité s’affirmait d’ailleurs par des œuvres nombreuses, fruit d’un travail assidu et mûri par la réflexion. Autour d’eux, une colonie d’artistes, attirés par leur réputation croissante ou par le charme de la forêt, s’était peu à peu fixée à Barbison. Un des premiers, et même avant Millet, avec lequel il était antérieurement en relations, Charles Jacque s’y était établi, déjà en pleine possession d’un talent très original, mais qui, à raison de sa vie assez aventureuse et de ses tentatives très diverses, ne devait que tardivement être apprécié à sa valeur. Il avait de bonne heure manifesté un goût très marqué pour la peinture ; cependant, tout en s’y livrant, il essayait successivement de professions bien différentes. Tour à tour saute-ruisseau chez un notaire, apprenti dans l’atelier d’un graveur de cartes géographiques, engagé volontaire et assistant en cette qualité au siège d’Anvers, il s’adonnait ensuite à l’élevage des volailles et consignait les résultats de son expérience à cet égard dans un livre excellent, le Poulailler, dont il rédigeait le texte et dessinait les illustrations. Plus tard, il s’occupait de la culture des asperges, de la fabrication des meubles et d’un commerce de bric-à-brac. Enfin, dans les dernières années de sa vie, pris de la manie de la truelle, il construisait, et exploitait des maisons d’habitation à Bois-Colombes, au Croisic, à Paris et à Pau.

En dépit de cette mobilité d’esprit et grâce à une prodigieuse activité, il n’avait jamais cessé de progresser comme graveur et comme peintre, car ses aptitudes étaient remarquables. L’étude du paysage et celle des animaux, pour laquelle il était particulièrement doué, l’avaient tout d’abord séduit. Vivant à la campagne, il s’était intéressé à la vie des paysans, et dans de nombreuses eaux-fortes qui attestent sa justesse d’observation et la sûreté de son dessin, il s’appliquait à représenter la suite des travaux rustiques que ramène chaque année le cours des saisons. Moins âpre que Millet, Charles Jacque, qui l’avait précédé dans ces sortes de sujets, n’atteint ni la grandeur de son style, ni sa profondeur de sentiment. Cependant, même à côté du maître, il a son originalité.