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le premier sang versé crie si haut dans les cœurs, que tout le monde s’arrête. À partir de ce moment, la grève était finie : la nécessité de la conciliation s’imposait. Le juge de paix a pu intervenir utilement entre les deux parties, et M. Théodore Haviland a fait savoir qu’il était prêt à rouvrir son usine sans le contre-maître dont la situation était devenue trop difficile. Les ouvriers se sont empressés de crier victoire : c’est une satisfaction qu’il faut leur laisser. Le gouvernement avait fait son devoir : la Chambre l’a reconnu à une grande majorité et lui a donné un ordre du jour de confiance. Les socialistes avaient demandé et proposé une enquête parlementaire sur les événemens de Limoges : le gouvernement fera l’enquête lui-même, la Chambre l’en a chargé. Elle ne révélera probablement pas de faits nouveaux : tout le monde sait à quoi s’en tenir sur ce qui s’est passé.

Un seul fait, s’il est exact, mériterait d’être éclairci. La municipalité de Limoges a déclaré que des inconnus à mine suspecte avaient été aperçus dans la foule qu’ils excitaient. Qui étaient-ils ? D’où venaient-ils ? Peut-être ont-ils été de simples mythes ; mais, en constatant leur présence, la municipalité avouait qu’il y avait eu des violences commises et des coupables pour les commettre. Seulement, disait-elle, ces coupables n’étaient pas de Limoges. Nous voulons le croire : mais n’y a-t-il pas là un enseignement pour les ouvriers ? Qu’ils soient de l’endroit même ou qu’ils viennent d’ailleurs, ou trouve toujours dans toutes les foules, lorsqu’elles sont arrivées à un certain degré d’exaltation, des hommes que tout le monde désavoue par la suite, mais que beaucoup de gens suivent sur le moment. Ce qui s’est passé à Limoges est une leçon pour tout le monde. Nous n’incriminons les intentions de personne. La municipalité et le maire ont certainement voulu épargner à la ville un malheur, quoiqu’ils s’y soient mal pris. Mais quand on a tout fait, et depuis longtemps, pour préparer les événemens, les événemens surviennent et se déchaînent. La force morale ne suffit plus alors pour les arrêter.


La Chambre s’est séparée jusqu’au 15 mai, après avoir voté les quatre premiers articles de la loi sur la séparation de l’Église et de l’État. L’article 4 est très important : c’est un de ceux sur lesquels devaient avoir lieu les batailles décisives. Aussi, lorsqu’il a été voté par une majorité considérable, M. Jaurès s’est-il écrié : « La séparation est faite. » Il a voulu sans doute que ce mot retentit dans le pays, et il y retentira peut-être, bien qu’il soit prématuré. La séparation n’est pas faite : il s’en faut, même de beaucoup. Nous reconnaissons toutefois