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8 avril 1904 ; et elle a exprimé publiquement, par la voix du chancelier de l’empire, des craintes au sujet de ses intérêts commerciaux au Maroc. Cette double manifestation devait nous frapper. Nous nous sommes donc demandé si, en effet, notre gouvernement avait donné à l’Allemagne l’impression qu’il ne voulait pas causer avec elle, et l’opinion générale, ou peu s’en faut, a été que si, à tort ou à raison, cette impression avait existé à Berlin, il convenait de la faire disparaître par une explication franche et complète.

On sait qu’à la date du 13 avril, notre ministre des Affaires étrangères, M. Delcassé, a eu une conversation avec l’ambassadeur d’Allemagne à Paris, le prince Radolin, et qu’il s’est mis complètement à sa disposition pour lui donner toutes les explications que son gouvernement pourrait désirer sur le passé, sur le présent et sur l’avenir. Nous ne connaissons pas les termes dont a usé M. le ministre des Affaires étrangères, mais le sens ne saurait en être douteux. Au reste, une discussion a eu lieu à ce propos à la Chambre. M. Jaurès a fait un long discours pour exposer une fois de plus ses vues politiques sur les rapports que nous avions ou que nous devions avoir avec toutes les puissances, discours qui, à notre sens, était peu propre à faciliter à notre diplomatie une tâche que la nouvelle attitude de l’Allemagne avait rendue très difficile. M. Delcassé a répondu en termes très nets. M. Rouvier, président du Conseil, a pris la parole à son tour, et il a encore précisé les déclarations de M. le ministre des Affaires étrangères. « On nous demande, a-t-il dit, de respecter l’égalité de traitement entre toutes les nations ; cela est acquis. Demande-t-on autre chose ? Qu’on le dise, nous examinerons. » Mais, depuis lors, le gouvernement allemand n’a rien dit. Il s’est enfermé dans un silence absolu, comme s’il attendait encore quelque chose de nous. Qu’attend-il et que peut-il attendre ? Si nous le savions, nous pourrions aller au-devant de ses désirs, et nous le ferions sans doute. La difficulté est de le savoir. La France n’a rien à demander à l’Allemagne ; son attitude nous avait fait croire que celle-ci avait, au contraire, quelque chose à demander à la France. Quoi donc ? Si elle refuse de le dire, des nuages obscurs continueront de peser sur la situation. Nous n’y gagnerons rien, et c’est pourquoi nous le regrettons sincèrement ; mais qu’y gagnera l’Allemagne ? Elle peut sans doute nous susciter des embarras au Maroc ; elle peut nous y disputer quelques lambeaux d’influence, et peut-être nous les arracher ; mais nous doutons fort qu’elle trouve plus de profit dans cette politique pénible et laborieuse, que dans une entente franche, loyale et aisée avec nous.