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répondit, pour se justifier, qu’il avait toujours été amateur de belles lames. Mais quand on lui mit sous les yeux sa lettre aux chefs des Gaulois, signée de sa main, il se troubla et cessa de nier. Lenlulus s’était plus compromis que les autres par ses vantardises. Pour se donner de l’importance, il avait entretenu les députés d’un oracle sibyllin, qui annonçait que trois personnes de la famille des Cornelii occuperaient à Rome le pouvoir souverain. Cinna et Sylla avaient été les deux premiers ; il ne doutait pas qu’il dût être le troisième, d’autant plus que les haruspices, qu’il consultait aussi, lui affirmaient que le temps était arrivé où l’oracle allait s’accomplir. Dans la séance du Sénat, lorsqu’on lui présenta sa lettre aux Allobroges, il nia l’avoir écrite ; mais il fut bien forcé d’avouer que le sceau était le sien. « En effet, lui dit Cicéron, cette empreinte est facile à reconnaître : c’est l’image de ton aïeul, un grand homme de bien, qui aimait sa patrie avec passion. Toute muette qu’elle est, elle aurait dû t’empêcher de commettre un crime si abominable. » Confronté avec les députés, il le prit d’abord de très haut, et il eut l’air de ne pas les connaître. Mais quand ils lui demandèrent s’il ne se souvenait pas de leur avoir parlé des livres sibyllins, son assurance tomba tout d’un coup, et, à la surprise générale, il avoua en balbutiant tout ce qu’on lui reprochait. Il se reconnut même l’auteur d’une lettre qu’il avait remise, sans la signer, à Volturcius pour Catilina, et qui était ainsi conçue : « Tu sauras qui je suis par celui que je t’envoie. Sois homme de cœur ; songe à la situation où tu t’es mis, et vois à quoi la nécessité t’oblige : prends des auxiliaires partout, même dans les rangs les plus bas. » Cette lettre, presque impertinente, prouve qu’entre le chef et les complices il y avait des dissentimens graves. Elle faisait allusion à la répugnance qu’éprouvait Catilina à enrôler des esclaves parmi ses soldats ; Lentulus n’avait pas les mêmes scrupules. Après ces interrogatoires, aucun doute ne pouvait rester. Les lettres, les cachets, l’écriture, l’aveu des accusés fournissaient une preuve irrécusable du crime. Mais Cicéron ajoute que ceux qui assistaient à la scène en avaient sous les yeux des indices encore plus certains. « A voir la pâleur des coupables, leurs yeux baissés vers la terre, leur attitude morne, leur consternation, les regards furtifs qu’ils se lançaient mutuellement, ils semblaient moins des malheureux qu’on accuse que des criminels qui se dénoncent eux-mêmes. »