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séance du Sénat qui vient de finir, résumé qui en reproduit le mouvement et en donne l’impression. L’orateur, dans un récit qui dut égayer l’assemblée, montre l’attitude piteuse des prévenus ; il insiste sur les maladresses qu’ils ont coin mises, sur les confidences qu’ils avaient faites sans précaution à des inconnus, sur les lettres qu’ils leur ont remises et qui devaient servir contre eux de témoignages irrécusables. « Jamais, dit-il, des voleurs qui dévalisaient une maison bourgeoise ne se sont fait prendre plus sottement. » La dernière partie du discours a un caractère tout religieux. Il faut se rappeler, pour la comprendre, que, chez les Romains, la religion était une partie du patriotisme. Ils étaient si persuadés que leurs dieux s’occupaient de leurs affaires et ne cessaient pas de travailler pour eux qu’ils ne pouvaient imaginer qu’il leur arrivât un événement heureux ou triste où ils ne seraient pas intervenus. Le peuple n’aurait pas cru à l’importance réelle de la conjuration s’il avait pensé que les dieux s’en fussent désintéressés. Aussi Cicéron a-t-il grand soin de rappeler tous les présages que les prêtres avaient notés, et par lesquels la république était prévenue des dangers qui la menaçaient. C’était, comme à l’ordinaire, des orages effrayans qui éclataient tout d’un coup, la terre qui tremblait, des voix merveilleuses qu’on croyait entendre, le ciel qui s’éclairait de lueurs sinistres. Mais, à ces prodiges auxquels on était accoutumé, il s’en joignait cette fois de plus significatifs. L’année précédente, la foudre avait plusieurs fois dévasté le Capitole, renversant la statue de Jupiter, frappant le groupe doré, objet de la vénération publique, qui représentait la louve allaitant les jumeaux divins. On avait célébré des expiations solennelles et décidé de remplacer au plus vite la statue détruite par une autre qui serait plus grande et plus belle. Mais l’ouvrage marcha lentement. La statue ne fut prête que dans les derniers jours du consulat de Cicéron, et il se trouva qu’elle ne put être installée que le 3 décembre, le jour même où les conjurés comparurent devant le Sénat. Celle coïncidence était de nature à frapper le peuple ; Cicéron, quoiqu’il eût peu de confiance dans les présages et qu’il dût composer plus tard un livre contre la divination, ne négligea pas d’en tirer cette fois un grand effet oratoire, et nous pouvons être sûrs que ce fut un des passages les plus applaudis de son discours. Il le termina par ces quelques mots : « La nuit tombe, citoyens ; allez adresser vos hommages à Jupiter, le