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gardien de cette ville et le vôtre. Retirez-vous ensuite dans vos maisons, et quoique le danger soit passé, ne laissez pas de veiller à votre sûreté comme la nuit précédente. Quant à vous délivrer de ces soucis et à vous permettre de jouir enfin d’une paix solide, liez-vous à moi, Romains ; j’en fais mon affaire. »


II

Ce soir-là, Cicéron ne rentra pas chez lui : c’était la fête de la Bonne Déesse, un des restes de la plus vieille religion romaine. On la célébrait tous les ans la nuit du 3 décembre, dans la maison du consul. Elle était présidée par sa femme, assistée de quelques dames de haut rang et du collège des Vestales ; les hommes en étaient rigoureusement exclus. La Bonne Déesse cette fois daigna faire un miracle. Le fou sacré, qui s’était presque entièrement éteint sur l’autel, se ralluma tout d’un coup avec une telle intensité que la flamme s’éleva jusqu’au faite de la maison. Terentia s’empressa d’aller annoncer cette bonne nouvelle à son mari. Comme elle était superstitieuse, on pense bien que le miracle, avec l’interprétation que les Vestales lui donnaient, l’avait beaucoup frappée et qu’elle en tirait les présages les plus favorables. Les dames, qui en avaient été témoins, ne manquèrent pas de le raconter, et le récit en dut être assez diversement accueilli. Un sceptique, comme Cicéron, qui faisait profession de ne pas croire aux oracles et aux prodiges, devenu l’objet d’une manifestation céleste, pouvait prêter à sourire, et les malins ne durent pas s’en faire faute. On plaisanta sans doute aussi de l’empressement que Terentia avait mis à l’en prévenir, comme si elle sentait qu’il eût besoin, en cette occasion, qu’on lui donnât du cœur. On savait qu’elle formait avec lui un parfait contraste. Si elle était d’un esprit médiocre et d’un caractère peu aimable, en revanche elle possédait la qualité dont il manquait le plus, la décision. Ambitieuse, dominatrice, jalouse de son autorité domestique qu’elle désirait même étendre au-delà de sa maison, elle était, disait son mari, plus disposée à participer aux affaires publiques qu’à lui faire une part dans les affaires privées. Elle voyait combien les circonstances étaient graves et voulait ne pas laisser cet esprit vif et mobile passer trop vite, comme il en avait l’habitude, de la joie à l’inquiétude, de l’assurance à la crainte. Du reste, elle ne fut pas seule à s’y employer. On nous dit que Q. Cicéron, si