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sont forcés de fermer leurs boutiques, que sera-ce lorsqu’elles seront brûlées ? » Voilà pourquoi il pense que la classe des affranchis, aux mains desquels se trouve le commerce de détail, est entièrement dévouée au gouvernement et que même il n’y a pas un esclave, pour peu que sa condition soit tolérable, qui ne fasse des vœux pour son succès. Il faut bien croire pourtant que si les partisans du Sénat étaient les plus nombreux, il se trouvait aussi, dans la foule, des gens d’une opinion contraire ; quelques-uns, qui peut-être le dissimulaient, étaient préoccupés du sort des prisonniers ; d’autres, plus ouvertement, s’intéressaient à César et craignaient qu’il ne courût quelque danger, si bien que, dans un moment d’émotion, il fut obligé de se faire voir pour les rassurer.

Cicéron, quoi qu’il dise, ne l’ignore pas. Il sait que le parti vaincu s’agite et craint qu’il ne tente un coup de main. Ce qui le prouve, ce sont les précautions qu’il prend pour lui résister. D’abord il a convoqué le Sénat dans le temple de la Concorde, et ce temple, comme celui de Jupiter Stator, où se tint la séance du 7 novembre, est dans une situation excellente qui le met à l’abri d’une surprise. On peut être étonné que le Sénat se soit si souvent assemblé ailleurs que dans la curie, qui lui était spécialement affectée ; mais c’est précisément qu’on avait l’habitude d’accommoder aux circonstances le lieu où il devait se réunir. Les préparatifs étaient bientôt faits, et l’on pouvait sans inconvénient se décider à la dernière heure. Comme chacun parlait de sa place, il n’y avait pas de tribune à installer. Il suffisait qu’on disposât d’une salle spacieuse et vide, ce qui arrivait dans presque tous les édifices sacrés. Quand on avait placé au fond la chaise curule du président, préparé des sièges, des deux côtés, avec un passage au milieu, l’installation était terminée. Le temple de la Concorde avait cet avantage d’être adossé au rocher, en sorte qu’il ne pouvait pas être pris par les derrières. Pour en défendre les abords des autres côtés, Cicéron disposait des chevaliers romains, ses auxiliaires dévoués, des fonctionnaires du trésor (tribuni ærarii), des commis aux écritures (scribæ), qui formaient un ordre (nous dirions aujourd’hui un syndicat) que Cicéron appelle « un ordre honorable. » Ces employés inférieurs, probablement en relations d’affaires avec les chevaliers, et situés, comme eux, entre le peuple et l’aristocratie, subissaient aussi l’influence du consul et s’étaient rangés dans