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sortir de ce rôle passif où on les avait enfermés. Ils conquirent en quelque façon ce que nous appelons l’initiative parlementaire. Seulement, ils ne l’exerçaient pas franchement, comme on fait de nos jours ; ils n’adressaient pas une demande au président pour introduire une question nouvelle. Quand leur tour de parler était venu, ils pouvaient ne pas s’en tenir à l’ordre du jour (egredi relationem), et traiter un sujet différent. Comme ils parlaient aussi longuement qu’ils le voulaient et que personne n’avait le droit de les interrompre, ils pouvaient développer leur opinion à leur aise. Mais, le plus souvent, ce n’était qu’une manifestation isolée qui n’avait pas de suite, et l’ordre du jour était repris, après cet incident de séance. Ce qui fut plus grave, c’est qu’on permit aux orateurs en certaines circonstances, lorsqu’il leur semblait que leur opinion n’avait pas été bien comprise, ou qu’on l’altérait en la réfutant, de reprendre la parole pour l’expliquer. Cette concession en amena d’autres ; comme il était difficile de refuser à celui qu’on venait de combattre le droit de répondre, il arriva que l’ancienne manière de délibérer, régulière et calme, où chacun ne parlait qu’à son tour et une seule fois, devint par momens une discussion véritable, où l’on se répondait l’un à l’autre. C’est ainsi que l’altercatio, qui triomphait devant les tribunaux judiciaires, pendant les interrogatoires des témoins, pénétra dans le Sénat. Mais ce n’étaient que des exceptions, et malgré tout, le caractère primitif de l’institution persista jusqu’à la fin. A la façon dont tout s’y passait ordinairement on pouvait croire qu’il était encore le Sénat de la royauté et des premiers temps de la République. Ce qui complétait l’illusion, c’est que même les vieilles formules s’y étaient religieusement conservées. Après les prières adressées aux dieux de la patrie par lesquelles s’ouvrent à Rome toutes les réunions politiques, quand le président a indiqué brièvement l’ordre du jour, il demande successivement dans le même ordre, et dans les mêmes termes, à chacun des sénateurs de dire son opinion : Dic, quid censes ? Lorsque la liste de ceux qui ont le droit de parler est épuisée, on procède au vote. Le président l’annonce en disant : « Que ceux qui sont de cette opinion passent de ce côté ; que ceux qui sont d’une opinion différente passent de l’autre, Qui hoc censetis illic transite ; qui alia omnia, in hanc portem, » et en même temps il doit montrer l’endroit avec la main[1]. Le vote fini, il en proclame le

  1. M. Mispoulel, dans son ouvrage intitulé : la Vie parlementaire à Rome, fait remarquer que ce procédé de vote, qu’on appelait discessio, est encore pratiqué dans les Chambres anglaises où les votans, à l’appel du président, se partagent entre deux couloirs disposés des deux côtés de la salle.