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seulement il a envahi toute l’Italie, mais il a passé les Alpes et se glisse dans les provinces. N’espérez pas l’étouffer en le ménageant. Quel que soit le remède qu’on y apporte, il ne réussira que s’il est appliqué sans retard. » Ces paroles dites, il demanda l’opinion de Decimus Silanus, qui, en sa qualité de consul désigné devait opiner le premier. Silanus, après quelques mots pour flétrir la grandeur du crime et rappeler l’exemple des aïeux, conclut que les inculpés devaient être punis « du dernier supplice. » Évidemment c’est de la mort qu’il voulait parler, et tout le monde l’entendit ainsi ; mais il ne dut pas prononcer ce mot, qui causait une certaine répugnance aux gens superstitieux, ce qui lui permit plus tard, comme on le verra, de se rétracter. Ceux qui votèrent après lui furent tous de son opinion, jusqu’à César, qui prit la parole à son rang comme préteur désigné.

La situation de César était fort délicate. On le soupçonnait d’être du complot et il en avait été formellement accusé la veille. Il n’ignorait pas qu’il avait beaucoup d’ennemis qui ne cherchaient qu’une occasion de le perdre. Un autre n’aurait pas couru le risque de ranimer des soupçons dont il avait eu tant de peine à se défendre. Il aurait fait comme Crassus, qui resta chez lui pour ne pas se compromettre, ou, au moins, il aurait voté en silence, sans attirer l’attention. Mais il n’était pas de ceux qui se dérobent au moment du danger. Il savait que le parti populaire avait les yeux sur lui ; il voulait lui donner l’exemple du courage et n’hésita pas à combattre, quoi qu’il pût arriver, l’opinion de Silanus.

Salluste nous donne son discours, et c’est un des plus beaux que nous ayons conservés de l’antiquité. Mais peut-on croire que ce soit vraiment le discours de César, celui que Cicéron avait fait recueillir par ses sténographes et qui était transcrit dans les procès-verbaux du Sénat ? Mérimée l’a soutenu après beaucoup d’autres, sans que les raisons qu’il a données aient convaincu les lettrés et les savans ; l’opinion générale continue à croire que Salluste a fait ici ce qu’il faisait partout, ce que faisaient sans aucun scrupule tous les historiens anciens. Sans doute il avait sous les yeux le discours véritable et nous pouvons affirmer qu’il s’en est servi pour composer le sien, puisque nous y retrouvons ce que Cicéron rapporte de l’original. Il en a conservé les principales idées, mais la disposition et le style lui appartiennent ; il l’a refait à sa manière, comme il refaisait tous les